« Happiness
Road », de la réalisatrice Sung Hsin-yin :
renaissance
du cinéma d’animation taïwanais ?
par Brigitte Duzan, 25 juillet 2018
« Happiness Road » (《幸福路上》)
nous arrive après une série de succès dans
différents festivals : après une première mondiale
au festival de Busan en octobre 2017, il a été le
film de clôture du 54ème festival du
Golden Horse, à Taipei, en novembre 2017 puis a été
couronné du Grand Prix des Tokyo Anime Awards en
mars 2018. Présenté en sélection officielle au
Festival international de l’animation d’Annecy en
juin 2018, il sort sur les écrans français le 1er
août et ce serait dommage de le rater dans la
chaleur de l’été.
Ambiance nostalgique sur fond d’histoire
Souvenirs d’enfance
Le film débute au début des années 2010, quand la
jeune Qi/Tchi (小琪)
revient des Etats-Unis où elle est allée vivre après
ses études à Taiwan. Mais, si elle revient, c’est
parce que sa grand-mère est morte ; or elle
l’adorait, et le retour dans la maison familiale
fait renaître une foule de souvenirs, d’enfance
Happiness Road
et de jeunesse. Elle retrouve son père réduit à la boisson
et au jeu entre deux crises de léthargie, et sa mère
essayant de joindre les deux bouts en récupérant des ordures
pour les vendre à des entreprises de recyclage, activité
devenue obsessionnelle.
La réalisatrice,
Sung Hsin-Yin (宋欣颖),
fait naître sa jeune héroïne un 5 avril 1975, qui se trouve
être le jour de la mort de Tchang Kai-chek. De là, son
destin personnel se déroule en parallèle avec l’histoire
récente de l’île, et en particulier dans un contexte
d’avancées démocratiques sur fond de tensions
internationales.
Vision caléidoscopique de Taiwan
Chaque personnage semble être l’incarnation d’un type
particulier dans le contexte historique de l’évolution de la
société taïwanaise et de l’Etat, d’un modèle parti
unique-langue nationale unique à un modèle multiculturel et
multilingue : la petite Qi est éduquée à l’école en
putonghua (mandarin si on préfère), à l’exclusion du
« taïwanais » ; sa grand-mère est aborigène et méprisée pour
cela ; elle a une camarade de classe toute blonde, Betty,
dont le père était un soldat américain basé à Taiwan, et un
cousin, Wen, qui a pris part aux mouvements sociaux qui ont
scandé la marche vers la démocratie.
Sont évoqués en filigrane, sans appuyer, les protestations
estudiantines, les événements violents, voire les tortures
politiques, qui ont marqué l’histoire de l’île, mais tout
cela affleure de manière assez vague dans la mémoire qu’en a
conservée la jeune Qi. Ses souvenirs ne sont pas sombres,
car ils sont teintés de touches chaleureuses d’amour et
d’amitié qui recoupent les questions plus profondes.
C’est ainsi que les questions de classe et de race sont
omniprésentes dans le film, mais à travers les deux
personnages de Betty et de la grand-mère, et tout
particulièrement cette dernière dont le fantôme revient
hanter et conseiller la jeune Qi de ses remarques pleines de
sagesse ancestrale. Elle évoque irrésistiblement l’émergence
d’un mouvement de reconnaissance de la population aborigène
de Taiwan qui se traduit aujourd’hui par l’émergence
d’écrivains et de cinéastes. Témoin aussi l’artiste qui
prête sa voix au cousin Wen et qui n’est autre que le
réalisateur Wei Te-sheng (魏德圣),
celui qui a réalisé
« Seediq
Bale, the Rainbow Warriors » (《赛德克·巴莱》).
L’aspect linguistique est particulièrement important dans le
film, chacun des personnages parlant la langue qui lui
correspond (ce qui n’est pas clairement indiqué dans le
sous-titrage, et c’est dommage) ; on entend en particulier
le « taïwanais », variante locale du minnan yu (闽南语)
que parlaient les premiers colons chinois, arrivés du Fujian
voisin ; parlé par environ 70 % de la population de l’île,
mais longtemps réprimé pour imposer le putonghua
comme le montre le film, il est langue officielle à parité
avec le mandarin depuis 2018.
En ce sens, le film a un aspect éducatif qui sera mis en
valeur par un dossier pédagogique préparé par le
distributeur, Eurozoom.
Réflexion sur le bonheur
Le titre international « Happiness Road » se réfère à une
rue imaginaire de Taipei, mais le titre chinois signifie
plutôt « sur la voie du bonheur » : la recherche du bonheur
est effectivement le thème général du film, soulignant la
nature élusive, voire insaisissable, dudit bonheur. Ce qui
ressort, c’est surtout, en négatif, ce qu’il n’est pas, ce
bonheur : amour, mariage ou rêve américain. Le film détruit
les illusions superficielles qui sont monnaie courante, et
les remplace par des questions plus profondes, replacées
dans le contexte de l’histoire de Taiwan.
Finalement, il offre une réflexion sur l’éternelle question
du bonheur et sa quête universelle qui nous unit tous,
quelles que soient nos origines, familiales, sociales,
nationales ou ethniques.
Que le film soit d’une réalisatrice dont c’est le premier
long métrage d’animation augure bien de l’avenir de sa
carrière, qui semble annoncer un renouveau du cinéma
d’animation taïwanais.