Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Films

 
 
 
     
 

« La légende de Lu Ban » : un grand film de Sun Yu, au temps du Grand Bond en avant

par Brigitte Duzan, 25 septembre 2012

 

« La légende de Lu Ban » (《鲁班的传说》) est l’avant-dernier film réalisé par Sun Yu (孙瑜) : c’était en 1958, c’est-à-dire au début du Grand Bond en avant. C’est cependant un film très subtil, qui s’intègre parfaitement dans l’esprit de l’époque, mais sans excès ni discours politique.

 

La légende de Lu Ban

 

Chaque profession en Chine doit avoir son fondateur pour pouvoir se perpétuer. Et chaque fondateur est un être mythifié, que les membres de la profession vénèrent comme un saint patron. L’architecture chinoise,et tous les métiers de la construction en général, ont ainsi une tradition très ancienne dont les fondements sont sensés avoir été enseignés par plusieurs êtres de nature quasi divine, dont le plus célèbre est Lu Ban (鲁班).

 

 

Le film

On fait remonter sa naissance très précisément à l’année 507 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire pendant la période des Printemps et Automnes, et il serait mort en 444 avant Jésus-Christ. Sa naissance, dans l’Etat de Lu (), le Shandong actuel, aurait été accompagnée de signes marquant une réincarnation divine. Divers textes racontent comment il fut le seul des trois fils de son père à poursuivre le métier paternel, en allant étudier avec un grand maître, non seulement la menuiserie, mais toutes sortes de métiers artisanaux, dont le travail de la pierre.

 

Divers classiques de l’antiquité, tels que le Hanfeizi (韓非子), le Huainanzi (淮南子), ou le Mozi (墨子), citent certaines de ses inventions, dont une sorte d’oiseau artificiel décrit ainsi par Mozi : « Gongshu Zi [nom de Lu Ban] a taillé du bambou et en a fait une pie capable de voler sans se poser pendant trois jours » (公输子削竹木以为鹊,成而飞之,三日不下。”). L’oiseau aurait été conçu pour espionner les lignes ennemies, en un temps où les divers Etats étaient en guerre constante.

 

Lu Ban, representation traditionnelle

 

Le « Traité de Lu Ban » (《鲁班经》), qui date de l’époque Tang mais fut d’abord transmis oralement avant d’être rédigé sous les Ming, développa ensuite l’histoire : le père de Lu Ban aurait tenté de voler avec cet oiseau, se serait écrasé dans l’Etat voisin, et aurait été pris en otage pour forcer son fils à fabriquer un oiseau du même genre pour l’ennemi ; refusant de céder, le père aurait été exécuté.

 

Il s’est ainsi développé toute une légende partant de faits certainement authentiques. Lu Ban  est encore vénéré aujourd’hui en de nombreux endroits, non seulement comme un grand maître des arts de la construction, de bois et de pierre, mais surtout de bois, mais aussi comme un grand sage taoïste recherchant le Dao, l’harmonie avec la nature étant garante d’une parfaite maîtrise de ces arts.

 

La « légende de Lu Ban » s’est bâtie autour d’un personnage

dont les inventions relèvent en fait souvent de l’astuce artisanale, mais aussi et surtout d’un fort esprit d’observation doublé d’une réflexion profonde (1). C’est cela que développe le film de Sun Yu, en se riant du caractère divin attribué au maître, et en soulignant au contraire l’humanité du personnage.

 

Le film de Sun Yu

 

Un scénario très subtil

 

Ce caractère très humain, et très pratique, de Lu Ban est souligné dans le film en le montrant travaillant chez lui, et imaginant deux de ses inventions les plus célèbres, des outils simples pour éviter à sa mère et à sa femme de devoir rester à ses côtés pour l’aider. Sa mère devant lui tenir l’extrémité du fil qui lui permettait de tracer une ligne droite pour couper du bois, il inventa un crochet pour le fixer, qu’il appela mugou (母钩), c’est-à-dire le crochet de la mère. Quant à sa femme, il lui demandait de lui tenir les planches qu’il rabotait pour qu’elles ne glissent pas ; il eut l’idée de les fixer au bout de l’établi par une pièce de bois…

 

Le caractère de Lu Ban est ensuite développé au cours d’une narration en trois parties qui le montre parcourant le pays incognito pour venir en aide aux architectes en difficulté.

 

1er épisode : construction du pont (修桥”)

 

Cet épisode se passe dans le Sichuan. Un maître du nom de Zhao a reçu commande d’un pont sur lequel doit passer une procession religieuse venant de l’autre rive du fleuve. Il est un peu dépassé par la taille de l’ouvrage qu’on lui a demandé ; l’heure fatidique de la cérémonie approche, le pont est loin d’être terminé. Quand Lu Ban arrive, il se fait embaucher comme ouvrier bien qu’on ne lui fasse guère confiance en raison de son âge. Il commence alors sans rien dire à tailler une pierre défectueuse laissée sur le côté … elle 

 

L’architecte Zhang perplexe devant son temple inachevé

se révélera être la clef de voûte qui manquera à l’édifice au dernier moment. Qui plus est, l’ayant laissée à une jeune fille pauvre sans dot pour se marier, il lui permettra d’en obtenir une en échange de la pierre.

 

2ème épisode : édification du temple (建庙”)

 

Nous sommes ici au Jiangnan (le « sud du fleuve »). Un autre architecte, Zhang, doit construire un immense temple dont le toit, d’une seule pièce, est tellement lourd qu’il n’arrive pas à le faire hisser sur le corps du bâtiment. Sa tête est en jeu, il est désespéré. Lu Ban vient le voir après avoir visité le chantier, discute avec lui de la construction, mais s’esquive quand le déjeuner est apporté. Revenant s’asseoir après l’avoir raccompagné, Zhang découvre que son hôte a renversé le bol de riz sur la table. D’abord furieux, il réalise ensuite avec stupeur que l’autre lui a en fait suggéré la manière de monter le toit : en faisant un plan incliné avec de la terre…

 

3ème épisode : création de tours d’angle (造角楼”)

 

Lu Ban est remonté vers le Nord, et se trouve dans la capitale où l’Empereur a demandé à l’architecte Li de lui concevoir quatre tours d’angle pour un palais, qui doivent être bâties avec 9 poutres, 18 piliers et 72 poutres faîtières (2). Evidemment, Li n’arrive pas à trouver la solution, et sept de ses collègues ont déjà été exécutés pour avoir failli à leur mission. Li s’apprête à se pendre quand survient Lu Ban. Après avoir passé la nuit à étudier le problème, il va faire réaliser la maquette par une jeune fille qui fabrique des cages à criquets avec des tiges de paille.

 

La fabrication de la cage à criquets

 

Quand l’architecte médusé découvre la maquette, il réalise un peu tard que l’auteur ne peut être que… Lu Ban. Mais celui-ci, comme dans les autres cas, est déjà parti. Car il se présente toujours de manière anonyme, en raillant les gens avec lesquels il voyage qui font de lui un être quasi divin, aux pouvoirs surnaturels. Non, dit-il, rien de tel, il suffit d’observer et beaucoup travailler. A ceux qui lui demandent d’où il vient, il répond ironiquement : de Yuri… les deux caractères, + rì, étant ceux composant le caractère Lu : .

 

Livraison de la cage à criquets

 

Dans le dernier épisode, d’ailleurs, Sun Yu se moque de la ferveur populaire qui tend à diviniser n’importe qui : l’architecte Li envoie des gens à la recherche de Lu Ban, qu’il décrit comme un vieil homme avec une besace sur l’épaule ; dans la foule assemblée devant le chantier, un autre vieil homme répondant à la description est alors mené en triomphe malgré ses dénégations, jusqu’à ce que la jeune fille des cages aux criquets, la seule qui ait reconnu Lu Ban, dénonce l’erreur…

  

Une remarquable interprétation

 

Le film est en noir et blanc, comme il sied à une ancienne légende, et la mise en scène d’une grande simplicité.

 

Le film est surtout remarquablement interprété. Le rôle principal est tenu par un acteur venu du théâtre : Wei Heling (魏鹤龄). Né en 1907 dans une famille de paysans pauvres de la région de Tianjin, il n’a pu étudier que jusqu’au collège et a mené une vie difficile jusqu’à ce que, en 1928, il réussisse à entrer dans une école de théâtre où il était nourri et logé. C’est en 1934 qu’il a commencé une carrière d’acteur de cinéma, en entrant au studio Yihua (艺华影业公司).

 

Son premier grand rôle fut celui du vendeur de journaux dans « Les Anges du boulevard » (《马路天使》) en 1937. C’est lui aussi qui interprète le second mari de la malheureuse veuve du « Sacrifice du Nouvel An » (《祝福》), en 1956.

 

 

Wei Heling

Il est parfait, dans le film de Sun Yu, pour faire ressortir l’humanité du personnage de Lu Ban, aussi bien que l’ironie discrète du rôle.

 

Un film en accord avec son temps

 

« La légende de Lu Ban » apparaît résolument apolitique, tournée plutôt vers la satire légèrement ironique d’une légende et d’une tradition, presque un exercice de style en noir et blanc.

 

Pourtant, le message est très clair, tout en étant très sobre : il n’y a rien de mystérieux ni de surnaturel dans la formidable inventivité de Lu Ban, elle tient surtout à l’application au travail, à l’observation et au souci du détail pratique. Il ne faut pas s’en remettre au ciel, mais réfléchir et travailler.

 

Wei Heling dans le rôle de Lu Ban

 

Or le film est sorti en 1958, début du Grand Bond en avant. Son message est un principe tout à fait en ligne avec ce que le mouvement nécessitait et réclamait : travailler dur pour rattraper l’Angleterre… Mais en même temps, il dénonçait implicitement, avec une longueur d’avance, les proclamations irraisonnées qui allaient précipiter le mouvement dans un cycle absurde et mortifère, car la force de Lu ban est de savoir rester en phase avec les lois naturelles, et les étudier pour pouvoir mieux les utiliser.

 

Mais l’idéal de Lu Ban en matière architecturale correspondait aussi à celui de Sun Yu en matière de cinéma : travailler assidûment à élaborer un cinéma du peuple (为人民的电影事业而努力”).

 

 

Notes

(1) Il aurait ainsi inventé le parapluie pour protéger sa femme quand elle lui apportait à manger en observant des enfants se protégeant de la pluie sous des feuilles de lotus et un paon étaler les plumes de sa queue.

(2) Multiples du chiffre neuf, qui est le chiffre suprême, impérial. Voir Nombres et proportions architecturales, in La pensée chinoise, Marcel Granet, Albin Michel, 1968, p.209 sq.

 

 

Le film

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu