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« Le Ferry » : hommage nostalgique à un serviteur du peuple

par Brigitte Duzan, 21 mai 2015 

 

« Le Ferry » (《我的渡口》), de Shi Wei (石伟), a tout d’une légende transmise de bouche à oreille, et pourtant c’est une histoire vraie. Ce caractère authentique est préservé dans le film, en particulier grâce à un scénario très sobre et à une interprétation naturelle.

 

Ce refus du mélodrame est la grande force du film ; mais il apparaît légèrement désuet, comme un livre d’images que l’on feuillette avec nostalgie parce qu’il nous rappelle une époque embaumée par le souvenir, dans une brume qui baigne constamment le paysage.

 

Une histoire vraie

 

Produit en 2012 par le studio du Hubei, le film est en fait un hommage à une célébrité locale, de la préfecture d’Enshi (恩施州), dans le sud-ouest de la province : Wan Qizhen (万其珍).

 

Pendant toute sa vie, il a vécu dans une petite maison au bord de la rivière Dasha (大沙河), en

 

Le Ferry

faisant traverser gratuitement dans son bac les gens du village proche, comme l’avaient fait son père et

 

Le vieux Wan Qizhen devant sa maison

 

son grand-père avant lui. 

 

L’histoire remonte en fait à la fin du dix-neuvième siècle : la famille était arrivée là, chassée de chez elle par une famine, et avait été recueillie et sauvée par les villageois. En témoignage de sa reconnaissance, le grand-père s’était engagé à rendre ce service de bac au village : sans pont sur la rivière à moins de cinq kilomètres, les paysans étaient en effet obligés de faire une longue route dans des chemins de montagne difficiles avant de pouvoir la traverser. Or la ville d’Enshi et son marché sont de l’autre côté.

 

La famille a perpétué la tradition pendant plus de cent ans, sans interruption, et le service rendu est célèbre dans la région, immortalisé par quatre caractères : bainianyidu百年义渡 (le bac du devoir de cent ans). Wan Qizhen a même un site qui est dédié à son histoire : http://www.enshi.cn/wqz/.

 

Un film en hommage à l’esprit de service et d’abnégation

 

« Le Ferry » est un hommage très simple, sans effets appuyés ni développements superflus, au dernier descendant de la famille qui a continuétoute sa vie à assurer le service promis par le grand-père.

 

Un scénario qui évite le mélodrame

 

Dans le scénario, signé du scénariste habituel de Shi Wei, He Shengheng (何生生), le vieil homme s’appelle Lao Tian, vieux Tian (老田) : ce n’est pas un documentaire bien que le fil narratif soit étroitement  calqué sur la réalité - le film a été tourné sur les lieux mêmes du bac et de la maison du vieux Wan Qizhen, en s’inspirant des photos du vieil homme.

 

Le vieux Tian a perdu sa femme, et son meilleur ami qui venait jouer aux échecs avec lui ; il vit désormais dans la plus totale

 

Le bac conduit aujourd'hui par la petite fille de Wan Qizhen

solitude, au bord de la rivière, à attendre les villageois et les voyageurs qui veulent traverser et le hèlent de l’autre rive. Il se fait vieux, cependant, et la charge du bac devrait maintenant passer à son fils, parti travailler à Shenzhen.

 

 

Zhou Guangda dans le rôle de Lao Tian

 

C’est l’argument du film : le monde a évolué, le fils a d’autres ambitions, doit-il se sentir lié par un vœu fait par un lointain aïeul un siècle auparavant ?  

 

Au cours d’un congé de dix jours, il noue avec son père des liens qu’il n’avait jamais eu l’occasion de nouer quand il était enfant, car il vivait au village avec sa mère dont il était très proche. Le film prend alors une tonalité de conte d’apprentissage : le passage à l’âge adulte passe aussi par la compréhension de la mentalité paternelle, de sa noblesse d’âme et de son abnégation.

 

Le film a la lenteur voulue, une dimension introspective et une simplicité parfaitement adaptées au sujet traité. C’est presque un huis clos, et un tête à tête entre le vieil homme et son fils, au bord du fleuve, dans la vieille maison qui le surplombe. Les seules ouvertures sur le monde sont celles apportées par les gens de passage.

 

Uniques concessions à une trame narrative ordinaire : le camarade qui se marie et passe joyeusement avec les invités de la noce, et l’amie d’enfance qui n’a pas oublié celui dont on disait qu’elle l’épouserait un jour… Mais ce sont des concessions légères, qui apportent juste au film la vie dont il aurait manqué.

 

Le film est en fait scandé par les intempéries, les pluies brutales qui s’abattent soudain sur la rivière et rendent le service rendu d’autant plus méritoire.

 

Un paysage perpétuellement noyé dans la brume

 

C’est dans un soudain orage que réside le principal défaut du scénario et le seul excès dramatique qui reste d’ailleurs assez obscur : alors que se déchaîne l’orage, on entend des appels au secours, qui semblent venir de l’autre rive… on ne sait trop ce qui est arrivé à l’homme, ni comment il est sauvé… la séquence semble avoir été coupée.

 

Excellente interprétation

 

La solitude du vieil homme (dans le film)

 

La sobriété du scénario est rendue par une interprétation tout aussi retenue. Le personnage principal est interprété par un acteur peu connu, Zhou Guangda (周光大), mais c’est aussi bien : acteur anonyme pour héros anonyme. En fait, son jeu et ses attitudes sont calqués sur les photos que l’on a du vieux Wan Qizhen. Zhou Guangda a parfaitement assimilé son personnage.

 

Dans le rôle du fils, Liu Jun (刘军) a un rôle plus standard, révolté au début, partagé entre l’amour de sa mère et le refus du

sacrifice de toute une vie consenti par son père. Mais il donne à son personnage l’intériorité voulue, avec une parfaite distanciation dans ses rapports avec l’amie d’enfance retrouvée.

 

La photographie, signée Wang Yang (汪洋), fait ressortir la beauté des bords de la rivière Dasha : ils apparaissent comme un monde en marge de la modernité, que même le poste de télévision n’arrive pas à matérialiser : ce n’est qu’un vieux poste qui a du mal à capter les chaînes et semble totalement incongru. La radio elle-même dérange plus qu’elle ne divertit.

 

Wang Yang a cependant un peu trop accentué le vert du paysage, et abusé de la brume dans laquelle il est constamment

 

La photo dont s’est inspiré Shi Wei

noyé. Cela contribue à conférer un caractère un tantinet désuet au film, qui apparaît un peu comme une carte postale ancienne. C’est d’ailleurs l’impression qu’il donne dans son ensemble : un film désuet. 

 

Un film un peu désuet …

 

« Le Ferry » apparaît en fait comme un film des années 1990 : un de ces films qui jetaient un regard nostalgique sur un monde ancien en train de disparaître, et dont on ne pouvait que regretter les valeurs morales dont il était porteur.

 

Le mariage

 

On pense, par exemple, au « Postman in the Mountain » (《那山,那人,那狗》) de Huo Jianqi (霍建起), dont l’argument est très proche : la succession d’un vieil homme assurant un service postal qui demandait une abnégation très semblable à celle du vieux Tian. C’est un film qui fait, aussi, la même utilisation du paysage pour susciter l’émotion.

 

… mais très actuel

 

Désuet, certes, le film est cependant très actuel : il est à replacer dans le contexte idéologique de la Chine des années 2010, avec une tentative institutionnalisée de retour vers les valeurs traditionnelles, garantes de la moralité de la vie, privée et publique, et en particulier les valeurs de la Chine rurale, comme fondement de la culture nationale.

 

« Le Ferry » est un hommage discret aux héros anonymes, autres héros de la Chine moderne, aux côtés des héros de la guerre

 

Père et fils

qui sont l’autre volet de la cinématographie de Shi Wei. Le vieux Tian, comme Wan Qizhen, est un serviteur du peuple plein de l’abnégation que prônait Mao : weirenminfuwu "为人民服务" !

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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