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« Perhaps love » de Peter Chan, un film inhabituel et d’autant plus intéressant

par Brigitte Duzan, 12 avril 2008, révisé 22 septembre 2011

 

« Perhaps love » (如果.) date de 2005. Cette année-là, il est passé en clôture du festival de Venise, puis, en 2006, a reçu quatre « Golden Horse awards » au festival de Taipei : meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur cinématographie et meilleure musique. Tourné à Pékin et à Shanghai, c’est en effet un film musical sans en être un, inhabituel à maints égards, dans la forme comme dans le fond.

 

Un ‘musical’ qui n’en est pas un

 

Pour ce qui est de la forme, ce n’est pas un vrai film musical. Peter Chan a souligné à maintes reprises qu’il avait voulu éviter les écueils du genre en tournant un film dans le film : l’un des trois personnages principaux est un réalisateur qui tourne un film qui, lui, est une comédie musicale. Les chants et danses sont donc limités au périmètre de cette production, limitant l’aspect toujours un peu

 

Affiche du film « Perhaps Love »

factice du « musical » classique où les personnages se mettent brusquement à chanter, voire à danser, de manière parfois incongrue (comme chez Alain Resnais, mais c’est une autre histoire).

 

Le risque était d’avoir un film au total assez décousu : ce n’est pas le cas, Peter Chan ayant réussi à intégrer son film dans le film afin qu’il apporte un complément à l’intrigue principale dont il est comme un miroir, les chansons soulignant, en contrepoint, l’action et les sentiments des personnages. Le début est, il est vrai, peu convaincant : la première séquence, qui débute par le tournage d’une scène colorée et bollywoodienne de la comédie musicale, est déconcertante, et la première partie du film souffre d’un manque de cohérence qui rend la compréhension ardue ; mais la forme est de mieux en mieux maîtrisée jusqu’à l’apothéose finale où les deux pôles du film arrivent à une fusion parfaite, bien vite rompue par le dénouement qui redonne la primeur à l’intrigue centrale. Peter Chan a dit que le tournage de ce film avait été le plus éprouvant de tout ce qu’il avait réalisé jusque là, on veut bien le croire.

 

Une narration originale

 

Cependant, ce qui fait certainement la valeur du film, c’est non pas l’histoire d’amour qu’il raconte, mais la manière dont il le fait. Ce pourrait être une énième version du classique triangle amoureux, il n’en est rien. Sun Na (孙纳) est une actrice célèbre qui tourne un film avec le réalisateur Nie Wen (聂文) dont elle partage la vie. Le hasard veut que l’acteur choisi pour être son alter ego dans ce film, Lin Jiandong (林见东), est son premier amant, qu’elle a connu dix ans auparavant et abandonné pour suivre un jeune réalisateur qui lui offrait l’occasion de réaliser son rêve : devenir actrice. Les trois personnages sont donc tourmentés à divers titres.

 

 

Les quatre interprètes

 

 

Lin Jiandong n’a jamais oublié la petite Xiao Yu qui crevait de faim à Pékin quand il l’a rencontrée, mais qui avait une ambition démesurée, chevillée au corps, au point de le trahir pour tenter de la réaliser. Xiao Yu, elle, devenue la brillante Sun Na, a fait un trait sur son passé et repousse froidement les premières avances de Lin Jiandong - chanson“忘了你是谁” – j’ai oublié qui tu es (1).

 

Celui-ci va peu à peu lui rappeler les moments qu’ils ont passés ensemble, jusqu’à une superbe séquence où, l’ayant entraînée à nouveau, dans le même Pékin enneigé, dans le vieil entrepôt qui leur avait servi d’abri, il lui fait écouter la bande qu’il a enregistrée au cours des dix dernières années en revenant là tous les ans, pour célébrer son souvenir.

 

Nie Wen, de son côté, est en proie aux affres d’une jalousie désespérée qu’il transcrit dans son scénario. Quand il réalise qu’il a perdu Sun Na, il le modifie une nouvelle fois pour lui donner une scène finale dramatique où, dans un numéro de trapèze vertigineux, il rate volontairement les mains tendues de Sun Na qui le rattrape in extremis par une jambe ; mais sa décision est prise, il lui demande de le lâcher : laisse moi devenir ton souvenir, dit-il en allant s’écraser en contrebas.

 

Il y a là sans doute la clef de tout le film, représentée par un quatrième personnage, plus effacé mais non moins important, Monty : narrateur du film et sorte de « deus ex machina » qui sert des cafés à la buvette du studio et, en parlant avec les personnages, leur ré-insuffle des souvenirs défaillants. C’est donc finalement un film sur le souvenir, et ce qu’il peut avoir de mortifère. Il s’ensuit une atmosphère tendue, et une note de tristesse et de nostalgie, totalement inhabituelle dans les films musicaux traditionnels, qui a dérouté beaucoup de spectateurs mais donne toute sa valeur à cette œuvre complexe.

 

Une superbe équipe pour un projet ambitieux

 

Dans ces conditions, le film ne remplit ses objectifs que grâce au jeu du quatuor d’acteurs, soigneusement choisis :

- dans le rôle de Sun Na, Zhou Xun (周迅), qui était alors surtout connue pour son rôle dans “Suzhou River » de Lou Ye (2000) et "Balzac et la petite tailleuse chinoise" de Dai Sijie (2002),

- dans le rôle de Lin Jiandong, Takeshi Kaneshiro (金城武), devenu ensuite élément récurrent de la filmographie de Peter Chan, et de bien d’autres ;

 

Zhou Xun par Christopher Doyle

- et, dans celui de Nie Wen, l’idole du cinéma de Hong Kong Jackie Cheung (张学友) ;

- sans oublier l’acteur coréen Ji Jin-Hee dans le rôle de Monty, le narrateur du film et « emotional tax collector » comme l’a qualifié un critique.

 

La première a été primée au festival de Hong Kong pour son rôle dans « Perhaps love », mais les trois autres sont tout aussi remarquables, bien que Jackie Cheung, avec sa voix au timbre chaleureux, soit le seul à chanter de manière vraiment convaincante. Le scénario reprend une idée semblable à celle du film précédent de Peter Chan (2), mais en abandonnant la douce nostalgie qui en était la marque : dans « Perhaps love », c’est l’amertume qui prime – « bittersweet », dirait un Anglais, mais très peu « sweet », et c’est très bien ainsi.

 

Takeshi Kaneshiro par Christopher Doyle

 

Au total, on a là un ovni dans le paysage de Hong Kong dont le cinéma nous a habitués aux films d’action sur fond de magouilles mafieuses. Ce cinéma est né des conditions politico-militaires dramatiques de la fin des années 30 en Chine, période dorée du cinéma de Shanghai. En 1937, le bombardement de la ville par les Japonais provoqua l’exode des talents et des capitaux vers Hong Kong. C’est grâce au cinéma de Hong Kong que fut gardée vivante, avec des

variations selon les décennies, la tradition des wuxia pian, ou films d’arts martiaux, qui sont à l’origine même du cinéma chinois.

 

Après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, le modèle est entré dans une période de crise accentuée par la renaissance du cinéma sur le continent. Peter Chan a résumé la situation lors d’un entretien donné à l’occasion de la sortie de « Perhaps love » : « Il ne faut pas rester dans l'illusion de l'ancien âge d'or du cinéma de Hong Kong, car ce cinéma n'a plus aucun avenir. ..Je pense qu'il nous faut à présent chercher les moyens de faire perdurer les traditions et l'esprit des anciens titres de gloire de ce cinéma sans chercher à tout prix à faire du "film de Hong Kong" car il n'y en a plus à proprement parler… Quand je me suis impliqué dans l'exportation de mes productions il y a maintenant trois ans, ni la Corée ni la Thaïlande ne voulaient plus de nos films. Il est triste de constater que ces pays avaient été friands de nos productions tout au long des années 1990 … ».

 

« Perhaps love » représente donc une tentative de réponse à cette crise. On peut noter que c’est le premier film en mandarin tourné par Peter Chan qui arbore maintenant son nom chinois - Chen Kexin (陈可辛), le changement d’actrice, de Maggie Cheung à la Chinoise Zhou Xun, pouvant être considéré comme symbolique. Il a su réunir une équipe fabuleuse pour tenter de (re)conquérir le marché international, mais surtout le public chinois. Les images, en particulier, sont signées Christopher Doyle à Pékin et Peter

 

Scène du ‘musical’

Pau à Shanghai, chacun apportant sa griffe particulière, adaptée à chacun des épisodes correspondants : le premier filme avec la tendresse nostalgique dont sont empreints les films de Wong Kar-wai, le second avec la maîtrise du mouvement qu’il a acquise en tournant nombre de wuxia pian, dont « Tigre et Dragon » avec Ang Lee, et, cinq ans plus tard, la copie ratée de Chen Kaige « Wu Ji, la légende des cavaliers du vent », qui ne vaut guère, justement, que par la photographie.

 

Scène du ‘musical’

 

Le plus étonnant reste le choix de la chorégraphe : Farah Khan, réalisatrice et chorégraphe indienne célèbre (auteur, en particulier, de la chorégraphie de Paheli, film indien également sorti en 2005). D’un point vue visuel, il faut avouer que le résultat est concluant : même si rien n’est très novateur - bien des passages de « Perhaps love » font penser à « West Side Story » (voire « Chantons sous la pluie »), bien plus qu’à « Cabaret » auquel il est souvent comparé - les chorégraphies sont bien réglées et les

décors superbes. C’est le côté musical, à mon sens, le moins réussi (4).

 

Mais, au-delà des images, ce choix reflète une stratégie plus globale. La Chine ne se cache pas de vouloir concurrencer les Etats-Unis aussi dans le domaine cinématographique, volonté qui fut déjà à l’origine des premiers films chinois, dans les dernières années du dix-neuvième siècle. Dans ce contexte, il est amusant de voir un réalisateur de Hong Kong voulant se positionner sur le marché chinois se lier à Bollywood pour concurrencer Hollywood : tendre la main à Bombay pour contrer Las Vegas…

 

« Perhaps Love » aurait pu représenter un tournant dans la carrière du réalisateur ; il est malheureusement resté un épisode sans lendemain. Peter Chan a préféré ensuite tenter de renouveler le genre du film d’action ‘en costumes’ (c’est-à-dire sur fond d’histoire), en répondant aux sirènes du ‘marché’ (3).  

 

Notes

(1) La chanson : http://www.youtube.com/watch?v=i1KJ3Lq7Zuk&feature=related

(2)《甜蜜蜜》tiánmìmì,  qui pourrait se traduire « sweet honey » mais est sorti en 1996 sous le titre anglais « Comrades, almost a love story », avec Maggie Cheung et Leon Lai dans les rôles principaux. Là aussi les deux personnages se séparent après une première rencontre pour se retrouver dix ans plus tard, par hasard.

(3) Voir l’extrait ci-dessus et n’en déplaise aux fans de Peter Kam (Ours d’argent au festival de Berlin en 2006 pour la musique d’Isabella, d’Edmond Pang).

(4) Voir « The Warlords » et « Wu Xia ».

 

 

Bande annonce du film « Perhaps Love »

 

 

Thème musical du film « Perhaps Love », par Jackie Cheung

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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