« The Last Woman Standing » : premier film de l’écrivaine
Luo Luo
par Brigitte Duzan, 30 septembre 2018
Le 6 novembre 2015 est sorti en Chine le premier film de
Luo
Luo (落落),
auteure à succès passée derrière la caméra pour adapter l’un
de ses bestsellers sous le titre « The Last Woman Standing »
(《剩者为王》).
Sans être une franche réussite, ni un grand succès au
box-office, le film est intéressant à plus d’un titre.
Un phénomène de société
Le film est adapté de son propre best-seller, publié en
janvier 2011, dont il a gardé le titre chinois : « Queen
Stain » (《剩者为王》)
[1].
Elle y raconte les états d’âme d’une jeune femme qui a
dépassé la trentaine, Sheng Ruxi (盛如曦),
brillante dans sa carrière professionnelle, mais toujours
célibataire. Le film, cependant, n’est pas un drame, mais
une comédie romantique : Ruxi tombe amoureuse d’un jeune
garçon de dix ans son cadet qui travaille avec elle, et tout
se termine par un
The Last Woman
Standing
mariage, dans le contentement général sinon en chanson. Tout
le monde est ravi, et surtout les parents.
Queen Stain (le roman)
De façon significative, le film a été produit par
Teng Huatao (滕华涛),
le réalisateur de
« Love
Is Not Blind » (《失恋33天》) qui
traitait du même sujet, avec beaucoup d’humour et de
finesse, sans happy end banal. Comme « Love
Is Not Blind »aussi, « The Last Woman Standing » est sorti
pour cette fête très spécifique souvent présentée
comme un équivalent chinois de la Saint-Valentin,
mais qui est en fait la Fête des célibataires, ou Guanggunjie (“光棍节”)
– le jour de l’année qui, en Chine, représente le
meilleur chiffre d’affaires pour les commerçants.
Etonnamment, le problème des hommes non mariés est
rarement abordé au cinéma
[2],
en revanche le thème traité au féminin revient
régulièrement sur les écrans depuis plusieurs
années. Il recoupe en effet un autre problème de
société, qui n’est plus seulement social, mais aussi
psychologique : celui des jeunes femmes engagées
dans une vie professionnelle active et gratifiante,
mais restées célibataires ;
elles sont qualifiées de sheng nü (剩女) :
celles qui restent
(sous-entendez : sur le carreau,
avec l’idée latente de rejet, de mise à l’écart).
Le message du film est lénifiant, le sujet l’est moins. Il
rejoint un complexe féminin amplifié par les tensions
familiales et le regard des proches, devenu problème de
société.
Une comédie romantique ciblée
Le film
est aussi intéressant pour ce qu’il révèle des enjeux
commerciaux et financiers liés à un marché de jeunes adultes
qui sont les premiers consommateurs de ce genre de
« produit ».
Ecrivain à succès, Luo Luo est l’un des auteurs vedettes –
post-80 (“80后”的作者)
- de l’écurie de
Guo Jingming (郭敬明).
Elle publie régulièrement des textes dans sa revue
littéraire Zui Novel (《最小说》),
revue phare de la littérature pour les jeunes (青春文学)
où elle anime une rubrique spéciale, « Voir un cerf au plus
profond du bois » (《树深时见鹿》).
Elle collabore aussi à la revue de manhua qui lui est
liée, Zui Manhua (《最漫画》),
qui, après avoir été publiée séparément, est redevenue un
supplément de Zui Novel.
Son film « The Last Woman Standing » est donc à replacer
dans ce contexte, éminemment commercial et ciblé. En 2015,
Luo Luo présentant ses
dessins pour le film
Guo Jingming en avait terminé avec la saga des « Tiny
Times » (《小时代》)
adaptée en une série de quatre films ; il en a profité pour
alimenter d’anecdotes de tournage une rubrique spéciale de Zui
Novel : « Journal d’un réalisateur » (《导演日记》).
Shu Qi et Eddie Peng
Luo Luo a pris le relais derrière la caméra, en changeant
légèrement de classe d’âge et de sujet, pour investir une
niche de marché complémentaire de celle des jeunes de « Tiny
Times ». Ce n’est pas entièrement nouveau : elle s’adresse
au même public, grosso modo, que le « Go Lala » (《杜拉拉升职记》)
de Xu
Jinglei (徐静蕾) et
les autres comédies pour jeunes
branchés du même genre où le personnage central est aussi
une professionnelle aux prises avec des problèmes
sentimentaux.
Luo Luo, cependant, traite le sujet sous un angle
individuel et « romantique », en misant beaucoup sur
ses interprètes, dont
Shu Qi (舒淇)
dans le rôle principal. Selon cette dernière,
cependant, le film est éminemment personnel, Luo Luo
étant Ruxi comme Flaubert était madame Bovary.
Le film est à replacer dans la lignée des « Tiny
Times » : une entreprise ciblée pour toucher un
créneau de marché porteur sur un sujet d’actualité.
Le sujet mériterait mieux.
Le triste sort des veuves a inspiré nombre de chefs
d’œuvre du cinéma chinois, celui des femmes seules
dans la société moderne pourrait certainement en
inspirer autant.