Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Films

 
 
 
     
 

« Chronicles of the Ghostly Tribe » : Lu Chuan entre Jules Verne et Spielberg

par Brigitte Duzan, 28 décembre 2015

 

L’incroyable succès, ces dernières années, d’abord sur internet, puis en librairie, des romans feuilletons sur des aventures de pilleurs de tombes ou daomu xiaoshuo (盗墓小说) [1] a eu de multiples retombées en adaptations diverses, manhua, jeux vidéo, télévision et même théâtre.

 

Le cinéma a suivi le mouvement. Les droits d’adaptation des romans des deux principaux auteurs, Xu Lei (徐磊) et Zhang Muye (张牧野), ont été achetés par plusieurs sociétés de production. Les films adaptés de la série de Zhang Muye « Ghost Blows out the Light » (Gui chuideng 《鬼吹灯》) sont les premiers à avoir été réalisés, mais c’est celui de Lu Chuan (陆川), produit par China Film, qui est sorti le premier, pour la Fête nationale chinoise en 2015 : « Chronicles of the Ghostly Tribe » (鬼吹灯之九层妖塔).

 

Chronicles of the Ghostly Tribe

 

Le film a, comme prévu, attiré les fans des romans et été un succès commercial, bien que les critiques aient été mitigées. Il est cependant différent du roman initial. C’est le premier grand film commercial de Lu Chuan, son opus précédent, « The Last Supper » (《王的盛宴》), ayant été un échec car trop « intellectuel » pour une époque qui demande de l’action, du suspense et de la 3D. Il tend à montrer que Lu Chuan est tout à fait capable de s’adapter sans (trop) perdre de ses qualités, mais il témoigne aussi des difficultés qu’ont aujourd’hui les meilleurs réalisateurs à préserver un talent original.

 

Des aventures fantastiques

 

« Chronicles of the Ghostly Tribe » est adapté du premier roman de la série des « Ghost Blows out the Light » de Zhang Muye : « L’ancienne cité du royaume de Jingjue » (《精绝古城》). Zhang Muye a commencé à le publier sur internet vers le milieu des années 2000, sous le pseudonyme de Tianxia Bachang (天下霸唱), et le succès a été quasi immédiat.

 

De nouveaux contes de l’étrange

 

L’histoire est racontée à la première personne par un personnage du nom de Hu Bayi (胡八一), ainsi nommé parce qu’il est né un 1er août (également date de création de l’Armée populaire de Libération). Il commence par raconter l’histoire de ses ancêtres, dont son grand-père paternel Hu Guohua (胡国华) qui était un maître de fengshui, mort au début de la Révolution culturelle, pour avoir été traîné dans les rues et persécuté alors qu’il était déjà très âgé.

 

Hu Bayi avait alors dix-huit ans, l’âge où les jeunes Chinois de sa génération ont été envoyés dans les coins les plus reculés du pays, dans le mouvement shangshan xiaxiang (上山下乡). Il s’engage dans l’armée et se retrouve posté en Mongolie intérieure, avec, pour meubler le quotidien, le vieux grimoire de la famille, ou du moins ce qu’il en reste : « L’art secret du fengshui par les seize caractères et le yin-yang » (《十六字阴阳风水秘术》). Il finit par le connaître par cœur, et cela le sauve d’une avalanche quand son bataillon est ensuite envoyé au Tibet.

 

Du Tibet, il passe aux monts Kunlun (en bordure du désert de Gobi) et c’est là que ses aventures prennent forme. Le ton général reste assez réaliste, avec même un brin d’humour sur fond de Révolution culturelle. Zhang Muye a déclaré écrire pour se distraire, et on sent qu’il s’amuse. A partir de là, cependant, il développe les occurrences de l’étrange, mais sans excès de surnaturel.

 

Hu Bayi et son petit groupe sont attaqués par de mystérieuses « libellules de feu » (火瓢虫), surgies de la terre qu’elles semblent vouloir protéger, et, bientôt réduits à quatre, se retrouvent, dans un dédale souterrain pour leur échapper. Au détour du chemin, ils tombent sur une tour mystérieuse à neuf étages, sur laquelle sont inscrits des caractères tibétains, et qui semble être une tombe dont les corps sont protégés… par une myriade de libellules de feu endormies.

 

Ils finissent bien sûr par réveiller les bestioles qui se ruent sur eux, et dont ils ne réchappent qu’en se jetant dans un cours d’eau souterrain qui part de la tour, eau chaude venue des entrailles de la terre volcanique et habitée par une monstrueuse salamandre géante…

 

Là encore, l’effet est de l’ordre du fantastique sanstomber dans le surnaturel, en posant l’animal comme survivant d’une espèce disparue. Le reste du roman multiplie les épisodes dans lesquels Hu Bayi se retrouve dans des lieux étranges, et doit affronter des dangers insolites.

 

Le style en moins, malheureusement, on est dans l’esprit des « Contes de l’étrange » (《聊斋志异》) de Pu Songling (蒲松龄) [2] : l’étrange comme élément indissociable du quotidien. Le roman est par ailleurs à replacer dans la grande tradition chinoise de la littérature populaire : il est d’emblée situé dans le cadre de la tradition ésotérique du fengshui, et rattaché aux croyances populaires chinoises, en particulier aux mythes et légendes entourant les morts, mais il est aussi lié à l’histoire plus ou moins légendaire entourant les « régions de l’ouest » (西域), à laquelle est rattachée l’histoire du royaume de Jingjue (精绝), avéré historiquement sous le règne de l’empereur Wudi des Han (汉武帝141-87 avant J.C.), comme oasis sur la branche sud de la Route de la Soie.

 

Inspiration plus qu’adaptation

 

Lu Chuan a subtilement tiré du récit les éléments fantastiques de plusieurs épisodes, en les reliant par une intrigue légèrement différente, non linéaire et forcément plus concise, mais basée sur le même personnage principal, Hu Bayi.

 

Un film entre Jules Verne et Spielberg

 

Lu Chuan présentant son film

 

Si le roman de Zhang Muye replonge aux sources d’une ancienne tradition littéraire chinoise, le film de Lu Chuan revisite les grands classiques de la littérature comme du cinéma : « Le Voyage au centre de la terre » de Jules Vernes, et ses adaptations au cinéma, et « Les Aventuriers de l’Arche perdue » de Spielberg, faisant de Hu Bayi un avatar à la fois d’Axel Lidenbrock [3] et d’Indiana Jones. 

 

Les monstres, quant à eux, relèvent de

l’imagerie de « Jurassic Park » plus que des dimetrodons de Verne, tout en restant proches de la salamandre monstrueuse rencontrée par Hu Bayi dans le roman de Zhang Muye, animal qui a bien des attributs du dragon, et en particulier son milieu aquatique.

 

Mais les parallèles ne s’arrêtent pas là ; les références abondent. Le film est une subtile relecture des mythes et allégories liés à l’imaginaire universel entre fantastique et science-fiction, mais actualisé non sans humour pour en faire une histoire bien chinoise.

 

Un trio d’aventuriers

 

Comme dans le film de 1959 de Henry Levin adapté du roman de Jules Verne, « Journey to the Center of the Earth » [4], le scénario de Lu Chuan met en scène un trio d’aventuriers, dont une aventurière.

 

D’abord Hu Bayi, bien sûr, comme dans le roman, mais sans arrière-plan familial : le film commence alors qu’il est en pleine montagne, vraisemblablement au moment du Grand Bond en avant plutôt qu’au début de la Révolution culturelle, affecté à une équipe assistant un professeur qui fait

 

Hu Bayi (Mark Chao) et Yang Ping (Yao Chen) au début du film

des recherches archéologiques dans une grotte où il a découvert de bizarres ossements de gigantesques animaux inconnus.

 

Il est accompagné par son indéfectible frère juré, Wang Kaixuan (王凯旋), dit Wang le gros (王胖子), qui le suit comme une ombre. Par ailleurs, affecté par l’altitude, il est soigné par une infirmière aux pieds nus, Yang Ping (杨萍), qui se trouve être la fille de l’archéologue et dont il est vaguement amoureux.

 

L’équipe de volontaires partant explorer la grotte

 

Quand se produit une formidable explosion dans la grotte, dont le professeur est le seul à sortir miraculeusement indemne, et que l’on demande des volontaires pour constituer une équipe de choc et aller tenter de comprendre les raisons de l’explosion, Yang Ping se porte volontaire, aussitôt suivie par Hu Bayi, et Wang Kaixuan, le fidèle Pangzi.   

 

Un film en trois parties

 

Après cette introduction, l’aventure se déroule en trois parties. Mais Lu Chuan a fait précéder son introduction de pseudo images d’archives, montées en séquences très rapides, qui créent une atmosphère de suspense en laissant entrevoir qu’il y a eu, depuis 1934, une succession d’événements bizarres en divers endroits de Chine liés à des tombes et des restes humains, et, dans les années 1970, des découvertes de vestiges d’animaux inconnus dans les monts Kunlun, dont participe la séquence introductive…

 

1. Dans la première partie, Lu Chuan a habilement tissé un scénario qui comporte les principaux éléments narratifs du roman. Au bout de la galerie à l’arrière de la grotte où a eu lieu l’explosion, ils débouchent sur un autre versant de la montagne, mais sont attaqués par des chauves-souris létales (火蝠) dont le contact brûle et réduit en cendres une bonne partie de l’équipe. Les survivants sont surveillés par une sorte de monstre qui déclenche une avalanche dont ils ne réchappent qu’en se précipitant dans une grotte. Ils découvrent des ossements d’animaux sacrifiés avant d’arriver devant la Tour aux neuf étages du titre.

 

Le bureau 749…

 

Pour avoir franchi le seuil, ils sont à nouveau attaqués par les chauves-souris. Alors qu’il commence à brûler, Hu Bayi leur échappe avec Yang Ping en se précipitant dans une immense chute d’eau derrière la Tour, mais Yang Ping est emportée par un monstrueux animal aquatique… Hu Bayireste seul.

 

2. On le retrouve à l’hôpital en train d’être soigné pour les brûlures dans son dos. Puis, en 1982, précise le film, il est affecté à une bibliothèque dont le gardien vient le chercher à la gare, le soustrayant à la surveillance des membres du bureau 749, créé en 1979 pour faire des recherches sur les découvertes d’animaux étranges dont il était question dans les premières séquences. Hu Bayi y retrouve son fidèle Kaixuan, devenu chanteur de cabaret local…

 

Li Chen, en gardien de la bibliothèque… et du mausolée secret

 

A partir de là, le film dérive vers le fantastique, avec l’apparition régulière, sur le bureau de Hu Bayi, de documents du professeur Yang concernant ses travaux sur une civilisation ancienne d’êtres démoniaques que les humains auraient réussi à vaincre… avec explications conjointes du « gardien » de la bibliothèque qui se révèle bien plus chef de secte…

 

Finalement, Yang Ping est aussi retrouvée, méconnaissable, amnésique et comme possédée, de même que son père, qui reprend derechef ses recherches.

 

3. Ces recherches le conduisent dans le désert du Gobi, au pied des monts Kunlun, où se trouve sa fille, que rejoignent Hu Bayi, Kaixuan et le reste du bureau 749. Et c’est dans une ville fantôme, ancienne cité pétrolière qui a été victime dans le passé d’une attaque de monstres étranges, que se termine (presque) le film, dans un final fantastique semi-apocalyptique avec monstres en goguette qui n’est vraiment pas le meilleur du film.

 

Un film qui tourne au  délire

 

Mais ce final est suivi d’une coda qui répond à la séquence introductive, en bouclant la boucle par une dernière explication sur le personnage énigmatique de Yang Ping dont on se gardera bien de révéler la teneur. Le film prend ici un faux air d’Alien sans y gagner en cohérence, comme c’était pourtant le but.

 

Partant d’un semblant de réalisme dans l’étrange, dérivant vers un fantastique à la Jules Verne revu par Zhang Muye, le film tombe alors dans la science-fiction la plus délirante, avec des effets spéciaux très appuyés, ce qui est sans doute un tribut de Lu Chuan à ses producteurs et à son public supposé, bref un tribut à son temps, mais où on le sent très mal à l’aise.

 

Un film quand même signé Lu Chuan

 

« Chronicles of the Ghostly Tribe » reste pourtant un film intéressant à bien des égards, comme tout film de Lu Chuan, ne serait-ce que par l’interprétation, la réalisation artistique … et les références liminaires. Si Zhang Muye s’amuse en écrivant, Lu Chuan semble avoir trouvé son plaisir dans ces petits cailloux semés de ci de là.

 

Feng Li en chanteur de musci-hall

 

Les deux visages de Yang Ping

 

Le choix des acteurs est remarquable, loin des stars qui font les têtes d’affiches habituelles aujourd’hui. C’est le cas des deux acteurs principaux : Mark Chao (赵又廷) dans le rôle de Hu Bayi et Yao Chen (姚晨) dans celui de Yang Ping.

 

Acteur et chanteur d’origine taïwanaise élevé au Canada, Mark Chao s’est fait connaître au cinéma dans « Monga » (《艋舺》) de Doze Niu (钮承泽), en 2010. Mais on l’a vu en 2012 dans « Caught in the Web » (《搜索》) de Chen Kaige, où il interprète le rôle principal aux côtés de … Yao Chen qui joue celui de sa sœur. C’était une excellente idée de les réunir à nouveau, tout en donnant à Yao Chen un rôle où elle peut donner le meilleur d’elle-même, au-delà de la télévision et des minauderies de « Go Lala Go » (《杜拉拉升职记》) ; c’est une excellente actrice.

 

Les rôles secondaires sont tout aussi bien choisis : Li Chen (李晨), crâne rasé, lunettes et air énigmatique, dans le rôle du gardien de la bibliothèque, Li Guangjie (李光洁) dans celui du chef du bureau 749 [5], ou encore Feng Li (冯粒) dans le rôle du copain Pangzi. On remarquera au passage Wang Deshun (王德顺) dans un rôle de composition, en habitant du désert…

 

Là où Lu Chuan excelle, c’est dans la mise en scène et la qualité artistique de son film, que ce soit le choix des lieux de tournage, et jusqu’au montage, réservant lui-même sa part de mystère par la rapidité avec laquelle les séquences sont coupées et assemblées, sauf à la fin.

 

Le film a été tourné au début dans les monts Kunlun et en partie près de Quiemo, dans le désert de Gobi, qui est proche de l’endroit même où se situait le royaume de Jingjue auquel fait référence le titre du roman. Le royaume, cependant, n’a pas laissé de vestiges. Les ruines que longe la caravane dans la troisième partie sont celles de l’empire des Xi Xia (西 1038-1227), mais constituent un décor idéal. La superbe photo est signée Cao Yu (曹郁), qui est l’époux de Yao Chen depuis 2012.

 

Mark Chao dans un portrait à la Géricault

 

Wang Deshun

 

Enfin, si le bureau 749 évoque des souvenirs assez glaçants, des services secrets des eunuques sous l’empire aux divers bureaux de torture pendant la guerre, à Shanghai et Nanjing, la cité pétrolière fantôme de la fin (石油小镇) est réelle. Il s’agit de Yumen (玉门), dans le Gansu, à l’extrémité ouest du corridor du Hexi, territoire qui a en son temps été sous le contrôle des Xi Xia. Le pétrole a commencé à y être exploité en 1939, mais la production a atteint son apogée en 1959, puis la ville a subi un lent déclin [6].

 

Mais la ville qui apparaît en filigrane derrière cette ville-fantôme, c’est Karamay ! Et là, Lu Chuan est sidérant, parce que, malgré le superbe documentaire réalisé par Xu Xin (徐辛), intitulé, justement, « Karamay » (《克拉玛依》), le sujet reste tabou : on se demande comment la séquence a pu passer la

censure. En effet, Karamay est une ville, également née du pétrole, où un gigantesque incendie de la

salle des fêtes a coûté la mort à près de 300 enfants tandis que les officiels étaient évacués les premiers. C’est le sens du cri de l’organisatrice du spectacle dans le film de Lu Chuan : « Laissez d’abord sortir les enfants »…

 

Lu Chuan a ainsi dépassé le simple film fantastique pour le replacer dans un contexte assez actuel. C’est un film imparfait, un peu bancal, sans guère d’homogénéité, mais c’est un film plein de clins d’œil, et sans doute

 

 

Un monstre, dans l’attaque finale

ce que Lu Chuan pouvait faire de mieux dans le contexte de 2015 en Chine. C’est finalement un peu triste. 

 

Illustration par Edouard Rioudu roman

de Jules Verne, édition 1864

   

 

Chronicles of the Ghostly Tribe, Bande annonce

 

Le film, avec sous-titres chinois et anglais (mais il vaut mieux se contenter des premiers) :
http://top1movie.com/movie/chronicles-of-the-ghostly-tribe-853/

 

 


 


[3] Axel Lidenbrock qui découvre un vieux parchemin codé, écrit en caractères runiques, rappelant le grimoire de fengshui du roman de Zhang Muye. Mais il n’en est plus question dans le film.

[4] Dans le film de Henry Levin, qui s’éloigne moins du roman de Jules Verne que le film de Lu Chuan du roman de Zhang Muye, le professeur, devenu écossais, Sir Oliver Lindenbrook est accompagné de son élève Alec Mc Ewen, d’un athlète islandais Hans Bjelkeet de Carla Goetaborg, veuve d’un vulcanologue traître, assassiné par un descendant de l’explorateur initial Saknussemm.

[5] Un acteur qui jouait aussi dans « Go Lala Go » mais qui a fait ses débuts en 2007 dans un film injustement méconnu : « Li Chun » (《立春》) de Gu Changwei (顾长卫).

[6] C’est le sujet du très beau documentaire de Huang Xiang/Xu Ruotao/JP Sniadecki.  

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu