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« Fish and Elephant » : premier film de Li Yu, toujours aussi percutant

par Brigitte Duzan, 25 août 2013

 

Premier long métrage de Li Yu (李玉) sorti en 2001, « Fish and Elephant » (《今年夏天》) est généralement catalogué comme « le premier film chinois sur un thème lesbien ».

 

Il est bien plus que cette définition réductrice pourrait le laisser entendre ; c’est en fait un petit chef-d’œuvre qui analyse avec beaucoup de sensibilité les relations de deux jeunes femmes non seulement entre elles, mais avec le monde qui les entoure. Li Yu dresse ainsi un tableau subtilement réaliste de la société chinoise à un moment de son histoire où, après le boom des années 1990, les mœurs et les mentalités se sont trouvées confrontées à de profonds changements affectant en particulier la condition des femmes.

 

La nouvelle condition féminine illustrée par un quatuor de femmes

 

L’histoire est celle de deux jeunes femmes qui tombent amoureuses l’une de l’autre, mais 

 

Fish and Elephant

c’est aussi celle des réactions que cette liaison suscite autour d’elles, et en particulier chez la mère de l’une d’elles, qui est divorcée et voudrait marier sa fille. C’est en fait de la confrontation entre les deux situations, celle de la mère et celle de la fille, que naît la tension du film et une bonne partie de son intérêt et de sa profondeur. Un quatrième personnage féminin apporte une image en miroir, celle d’une femme broyée par la société. 

 

Les amours de Xiaoqun et Xiaoling

 

Liu Xiaoqun  (刘小群) est une jeune femme gardienne d’éléphant dans un zoo ; chez elle, elle a pour compagnie des poissons exotiques – d’où le titre anglais du film. Elle approche de la trentaine mais est toujours célibataire, au grand dam de sa mère et de son oncle qui cherchent activement à la marier, sans succès. Elle semble heureuse avec ses animaux.

 

Xiaoqun et son éléphant

 

Elle a en fait d’autres priorités : elle est lesbienne. Un jour qu’elle fait des emplettes, elle tombe sur une veste brodée qui lui plaît beaucoup ; la vendeuse les fabrique elle-même et la lui laisse à un prix dérisoire. C’est le coup de foudre. Elle s’appelle Xiaoling (小玲), abandonne son petit ami et va habiter avec Xiaoqun.

 

Comme ce sera le cas par la suite dans la plupart des scénarios de Li Yu, l’histoire rebondit alors, et ici sous le coup de l’arrivée

inopinée de deux autres femmes. C’est d’abord

la mère de Xiaoqun qui débarque de sa province pour activer les projets de mariage de sa fille. Xiaoqun lui présente Xiaoling comme une amie qui partage l’appartement pour réduire les coûts de location ; le courant passe, la mère est ravie que sa fille ne soit pas seule, tout va bien.

 

L’autre femme qui surgit soudain sans crier gare est Junjun  (君君), une ancienne amie de Xiaoqun partie un jour sans laisser de trace : elle se dit poursuivie par la police pour avoir attaqué une banque. Elle a effectivement l’air traquée, et Xiaoqun l’aide à se cacher, dans les locaux du zoo, tout en lui apportant à manger. Son arrivée suscite la jalousie de Xiaoling qui s’enfuit en tuant les poissons de Xiaoqun.

 

Les différents fils narratifs sont alors développés parallèlement : la dérive momentanée de Xiaoling, la cavale de Junjun, les rencontres de Xiaoqun orchestrées par sa mère, les problèmes de celle-ci et sa rencontre avec un homme qu’elle désire épouser, sans oser l’avouer à sa fille. Finalement, le film se dénoue sur un double aveu, celui de Xiaoqun laissant un temps sa mère interloquée ; mais son propre mariage la rend plus compréhensive envers le désir de bonheur personnel de sa fille. La fin reste malgré tout ouverte…

 

Une société en pleine mutation pour les femmes

 

Ce que décrit Li Yu dans ce film, c’est toute une société, à travers l’histoire de Xiaoqun et de sa mère, plus que celle de Xiaoqun et de Xiaoling. Xiaoqun et sa mère représentent les deux pôles opposés de la société chinoise, à l’aube du deuxième millénaire : le pôle des coutumes et mentalités traditionnelles battu en brèche par l’ouverture de la société sur des idées et des modes de vie plus personnels, générant un pôle de mentalités individualistes aspirant à une libération des tabous anciens. Ce qui est en cause, c’est le bonheur personnel.

 

Première timide rencontre

 

Xiaoling et Junjun apparaissent comme les deux miroirs de Xiaoqun. L’une est son alter ego, l’autre son image en négatif. Junjun est un personnage dramatique, ou plutôt tragique au sens grec, car elle porte en elle tous les stigmates de la condamnation et du rejet par la société ; mais, si elle est rejetée, ce n’est pas pour avoir été violée par son père, comme elle le raconte à Xiaoqun dans une ultime tentative de rachat, mais parce qu’elle ne connaît que la haine, qui l’a poussée au meurtre. Elle s’est mise elle-même au ban de la société.

 

Pour le reste, c’est au travers de la mère de Xiaoqun, et des hommes qu’elle présente à sa fille, que sont appréhendés les réactions et jugements de la société ; c’est bien en ce sens qu’elle représente le second personnage central du film. C’est grâce à elle que le film prend tout son sens.

 

Xiaoling derrière l’aquarium

 

Quand Xiaoqun annonce ne pas aimer les hommes, et leur préférer les femmes, la réaction générale n’est pas de rejet, mais d’étonnement bordant la stupeur, chacun cherchant une excuse à la jeune femme, une raison à une attitude aussi étrange – le fait qu’elle vive au milieu des animaux sans personne à qui parler pouvant en être une. Il faut souligner ici le fort contenu documentaire du film, et donc le réalisme des situations : tous les acteurs sont non professionnels, et les dialogues spontanés.

 

Par ailleurs, c’est grâce au personnage de la mère, aussi, que le film évolue vers une conclusion qui, bien que laissée ouverte, comporte l’acceptation d’une situation contraire aux normes sociales usuelles. C’est le bonheur de la mère à la veille de se remarier qui rejaillit sur la fille : le bonheur est quelque chose qui se partage.

 

La situation des femmes dans la société chinoise évolue pour toutes les générations, pour les veuves et les divorcées comme pour les lesbiennes qui, finalement, partageaient peu ou prou le même sort d’exclues. « Fish and Elephant » est loin d’être seulement un film sur l’homosexualité féminine.

 

Un film ancré dans la réalité

 

Si « Fish and Elephant » est si réussi, c’est qu’il est profondément ancré dans la réalité. Rien n’est artificiel, rien ne sonne faux. Ceci tient en grande partie au choix de la réalisatrice de travailler avec des acteurs non professionnels, mais c’est en premier lieu grâce aux deux actrices principales, elles-mêmes lesbiennes dans la vie : Pan Yi (潘怡) dans le rôle de Xiaoqun et Shi Tou (石头) dans le rôle de Xiaoling.

 

Li Yu les a rencontrées dans un bar homosexuel de Pékin, et elles formaient alors un couple,

 

Effet de clair-obscur

même si elles se sont séparées par la suite. Leur entente à l’écran n’est pas factice. Ce sont en outre deux fortes personnalités qui ont conseillé et orienté la réalisatrice, surtout Shi Tou, artiste peintre et cinéaste documentariste, activiste du mouvement gay en Chine. Elle considère que « Fish and Elephant » est une de ses œuvres majeures.

 

Pour le reste, ce sont les mille détails de la vie quotidienne qui sont parfaitement bien rendus, avec des petites notes d’humour de temps à autre, comme la passion de la mère de Xiaoqun pour le chanteur rock Cui Jian, symbole de la révolte des jeunes, et de la révolte tout court contre les blocages sociaux.

 

Une réception enthousiaste pour un petit chef d’œuvre

 

Présenté en première mondiale à la Biennale de Venise en 2001, la copie s’est perdue en route au retour – apparemment renvoyée aux censeurs qui l’avaient interdit. Il a ensuite été projeté au festival de Toronto, mais dans une copie vidéo. La bobine du film a cependant été récupérée par la suite.

 

Junjun, l’exlue

 

Heureusement, car c’est un film dont les qualités techniques sont très originales : il a été tourné en 16mm, dans un format presque carré, avec une photographie tout aussi originale, souvent dans des couleurs d’aquarium, et avec des cadrages peu usuels – comme la « scène de l’aveu » au restaurant, quand la mère annonce son mariage à sa fille et que celle-ci lui répond en lui avouant son homosexualité : scène fondamentale et pourtant filmée du fond du restaurant, derrière une paroi vitrée, avec une autre

table de clients entre la caméra et les deux actrices, ce qui donne beaucoup de distanciation à la scène.

 

« Fish and Elephant » a ensuite fait une carrière triomphale dans plus de soixante de festivals internationaux. Il a été couronné du prix Elvira Notari à la Biennale de Venise, et du prix du meilleur film asiatique au Forum du Nouveau Cinéma du festival de Berlin. Bien évidemment interdit en Chine, il n’y a été projeté qu’une fois, au Festival des films gays et lesbiens.

 

C’est le chef d’œuvre de Li Yu, devenu un classique. Il n’a pas pris une ride.

 

 Fish and Elephant, avec sous-titres anglais

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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