« Rivers and my Father » de Li Luo : travail sur la mémoire
et sur l’histoire
par
Brigitte Duzan, 30 janvier 2013
Rivers and my Father
« Rivers
and my Father » (《河流和我的父亲》)
est le second long métrage du jeune réalisateur
Li Luo (李珞),
et celui qui l’a fait connaître, lors de sa
présentation à la 7ème édition du
festival du cinéma indépendant chinois de Nankin, en
2010.
L’histoire
paternelle
Le film
est inspiré d’histoires de l’enfance du père du
réalisateur, qu’il a écrites après avoir pris sa
retraite, à l’âge de soixante ans, et données à son
fils sur une clé USB lors d’une de ses visites.
Li
Luo est revenusur
les lieux de son enfance, à Wuhan, pour tourner son
film, qui est une subtile combinaison de
documentaire et de fiction, car, s’il filme les
lieux, il fait rejouer les événements du passé,
légués par la mémoire de son père.
Il part des
souvenirs paternels et les met en scène comme des
morceaux de patchwork en noir et blanc, narrations
Li Luo au Festival du
cinéma
indépendant de Nankin
en 2010
Rivers and my Father,
le père
distinctes, avec titres et sous titres, formant une
chronique
du fleuve
omniprésent. Une tête dérive au fil de l’eau, des
enfants jouent dans les bois, un autre enfant médite
sur un bateau, des personnages plus âgés se
racontent des souvenir d’enfance… Certaines scènes
se répètent, et l’eau est partout, les eaux grises
du fleuve, bien sûr, ce Yangtse métaphorique, mais
aussi la pluie, sur la route mouillée vue du haut
d’une bicyclette en mouvement…
Les
vignettes se recoupent et se mêlent, pour former une
vision personnelle de l’histoire nationale, la
petite histoire dans la grande, celle, vivante, au
ras du sol, au long du fleuve. Et les histoires du
passé, illustrées par des images du présent,
prennent une nouvelle vie, et acquièrent ainsi forme
allégorique.
Une fable en noir
et blanc
« Rivers
and my Father » est en noir et blanc, c’est la
marque de fabrique de Li Luo. Il a expliqué qu’il
avait commencé par vouloir faire un film muet centré
sur la force de l’image, comme une sorte d’album de
photos en noir et blanc. Mais il s’est vite heurté
aux limites du genre et sa conception a évolué au
cours du tournage.
Il s’est
alors orienté vers une forme plus narrative, mais en
déconstruisant la narration fondée sur les souvenirs
de son
Le fils
père, en les
scindant en scènes séparées, reliées par le fil
du souvenir, et le cours du fleuve.
La pluie
Une fois
son film terminé, il l’a montré à son père, et les
réactions de celui-ci l’ont alors poussé à revoir
toute la conception d’ensemble du film, en
relativisant sa vision personnelle, et en la
soumettant à la critique du principal intéressé. Le
film finit ainsi par apparaître non comme une simple
narration ou un témoignage sur une époque révolue,
mais bien plus comme une réflexion sur la mémoire,
sur sa perception, sa fragilité et son caractère
éminemment relatif.
Le fleuve
Cette coda
inattendue transforme le film, et fait de « Rivers
and my Father » une œuvre singulière dans le courant
actuel d’indistinction croissante entre le
documentaire et la fiction.