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« Sparrow », un chef d’œuvre de la maturité de Johnnie To

par Brigitte Duzan, 6 juin 2008, révisé 25 avril 2012

 

Tourné sur une période de trois ans, entre 2005 et 2008, « Sparrow » (文雀》) a été présenté en compétition officielle au festival de Berlin en février 2008. C’est l’un des films les plus réussis de Johnny To (杜琪峰), un film où il joue avec un plaisir raffiné des codes, images et symboles qu’il a créés tout au long de sa filmographie et qui en sont devenus emblématiques.

 

Scénario elliptique

 

Le 文雀 wénquè du titre, c’est-à-dire un "moineau", désigne à Hong Kong un pickpocket. Le film est en effet l’histoire de l’un des spécialistes locaux du vol à la tire, Kei ; avec trois autres joyeux drilles, il forme une petite bande aussi rapide et alerte qu’une volée de moineaux. A ses heures de loisirs, il sillonne les rues de Hong Kong à vélo en prenant des photos avec son vieux Rolleiflex.

 

Le film commence un peu comme la nouvelle

 

Sparrow, l’affiche du festival de Berlin

de Patrick Süskind « Le pigeon » : l’intrusion inopinée d’un oiseau dans son appartement est, pour Kei, le signe précurseur du dérèglement d’un univers superbement organisé qui ignorait jusque là l’imprévu. C’est

 

Simon Yam

 

une autre sorte de volatile, ensuite, qui vient rompre l’unité du quatuor : une femme, que Kei surprend au détour d’une rue dans son objectif, une femme au regard affolé dont il développe ensuite les photos chez lui, dans une séquence qui rappelle celles du « Blow up » d’Antonioni .

 

Cette Chun Lei énigmatique va séduire chacun des quatre vieux copains, l’un après l’autre – ce qui leur vaudra une sévère raclée, la belle étant surveillée. Le reste de l’histoire n’a pas grand intérêt en soi, si ce n’est d’amener in fine à la scène qui restera dans les annales du cinéma : une sorte de long ballet fantomatique de parapluies dans la nuit, sous une pluie diluvienne dont les gouttes sont magnifiées par l’objectif, une chorégraphie de gestes ralentis, de mains furtives qu’on devine plus qu’on ne les voit, et qui se clôt sur la vision d’un pouce ensanglanté : le seul sang versé, un symbole.

 

Ode à Hong Kong

 

Le film est d’ailleurs un symbole en soi. Si le scénario est elliptique, c’est comme pour mieux concentrer l’intérêt du spectateur sur l’important : les images – et celles-ci sont superbes, faisant de « Sparrow » une épure du film de Hong Kong, comme un hommage à une cinématographie qui bat de l’aile comme l’oiseau égaré dans l’appartement de Kei, et un indice des bouleversements à venir.

 

Logiquement, Johnnie To en fait donc

 

A bicyclette dans Hong Kong

d’abord un hommage ému à Hong Kong, un Hong Kong vidé de sa foule habituelle qui nous rappelle la ville mise en scène, déjà, dans PTU, en 2003, avec cette nuit moite, couleur d’acier légèrement bleuté, une

 

Kelly Lin

 

nuit à la Johnnie To, où tout peut arriver, où la plus infime erreur peut entraîner des catastrophes. « Sparrow » est bien une « lettre d’amour » nostalgique à une ville devenue, de par les aléas de l’histoire, centre emblématique d’un cinéma unique en son genre qui semble être né du génie propre du lieu. En ce sens, « Sparrow » poursuit une idée qui était en germe dans « Triangle », réalisé avec la complicité des trois plus grands cinéastes de Hong Kong : c’était déjà là une somme magnifique de ce que ce cinéma peut faire, et de ce qu’il représente.

 

Epure de cinéma

 

Dans « Sparrow », tout est épuré, les codes, les situations, les personnages, pour en faire des emblèmes d’un cinéma auquel le film semble adresser aussi une « lettre d’amour ». Les armes ont été remisées au placard. Pas de combat spectaculaire, pas de sang versé (sauf les quelques gouttes du pouce de Kei, et encore parce que son détenteur a « perdu la main », comme il le dit lui-même, autre symbole). On ne voit pas les quatre copains se faire tabasser, ou à peine, et leurs blessures sont traitées sur le mode comique : blessés, ils deviennent ridicules.

 

Quant aux gangsters, ici, bien que ce ne soient que des voleurs à la tire, leur organisation est tout aussi rigoureuse que celle des mafieux des triades ; mais cet ordre a quelque chose de caricatural et le chef est un vieillard finalement pitoyable, qui s’effondre en pleurs lorsque l’oiseau dont il avait coupé les ailes – cette Chun Lei dont on ne sait rien par ailleurs - a réussi à s’envoler.

 

Deux des pickpockets “au travail”

 

Acteurs habituels

 

Chun Lei sous surveillance

 

Johnnie To a rassemblé là les principaux acteurs qui ont contribué au succès de ses films précédents, et sont indissociables de son univers : Gordon Lam Ka Tung (林家栋), star de la télévision de Hong Kong, Law Wing Cheong (罗永昌), qui joue ici un rôle à la limite du burlesque, Lam Suet (林雪), le vieux de la vieille, Kelly Lin (林熙蕾), star de Taiwan qui a débuté chez Johnny To en 2001, dans « Fulltime Killer » (全职杀手), et ne l’a plus quitté depuis, et surtout Simon Yam (任达华), dont ce doit être le dixième film avec

Johnnie To. Comme il l’a dit lui-même, tourner avec Johnnie To, c’est retrouver une bande de copains qu’on connaît depuis des années ; on se comprend sans avoir besoin de se parler. « Sparrow » traduit cette complicité, les quatre joyeux « moineaux » du film, montés sur leur unique bicyclette, en offrent une sorte d’allégorie burlesque -  mais la bicyclette finit par céder sous leur poids…

 

Partition symbolique

 

La musique aussi ajoute sa contribution à l’évocation de ce monde cinématographique en mutation. Signée Xavier Jamaux, elle mélange une sorte de jazz daté à des instruments traditionnels chinois, le erhu en particulier, qui donnent une note grave et mélancolique à la partition, une partition ambivalente qui rappelle celle de « Election 1 » (黑社会), en 2005.

 

Mais, dans ce film-là, le guzheng servait à souligner la dimension ancestrale des

 

Les quatre « moineaux »

valeurs traditionnelles défendues par le personnage principal. Dans « Sparrow », les instruments traditionnels évoquent plutôt l’époque de transition, politique et sociale autant que culturelle, que vit aujourd’hui Hong Kong, et donc son cinéma, soumis à l’influence croissante de la Chine continentale.

 

Coup de chapeau

 

Hong Kong la nuit

 

« Sparrow », disait Thomas Sotinel dans ‘le Monde’ lors de la sortie du film en France, en 2008, est une « friandise pour salle obscure ». Certes, c’est un plaisir, surtout pour l’œil, mais aussi pour l’esprit, car on ne peut s’empêcher de se laisser prendre au jeu des références cinématographiques, des clins d’œil et des effets de miroir (1). Ses fans vont sans doute rester sur leur faim, faute de combats, mais il faut se laisser gagner par autant de maîtrise ironique, ironie en apparence légère qui cache un rien de tristesse. Si l’on veut y prêter un peu plus d’attention que celle accordée à « un agréable exercice de style », pour reprendre les termes de la critique du Point, « Sparrow » apparaît comme un formidable coup de chapeau à un cinéma en pleine évolution (2).

 

De manière significative, les personnages du film sont en mouvement constant, et c’est quand ils s’arrêtent, sont immobilisés, que commencent les problèmes.

 

 

Notes

(1) Parmi les références cinématographiques ironiquement détournées, on peut citer : les ‘Vitelloni’ de Fellini, l’oiseau du ‘Samouraï’ de Melville (dont on sait Johnnie To fervent admirateur, et dont il projette depuis des lustres de faire un remake), et bien sûr le ‘Chantons sous la Pluie’ de Stanley Donen pour la dernière séquence. Quant au personnage du vieux mafieux, dont le langage même et les codes appartiennent au passé, il rappelle le ‘Ghost Dog’ de Jim Jarmusch, film qui est lui-même un hommage au ‘Samouraï’.

(2) Après la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, le modèle est entré dans une période de crise accentuée par la renaissance du cinéma sur le continent et l’attrait de son marché.

 


                                                                                               

 

Bande annonce

 

 

La grande « scène des parapluies »

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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