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« Useless/Wuyong » : la styliste Ma Ke au centre d’un documentaire deJia Zhangke

par Brigitte Duzan, février 2008, révisé le 11 août 2013

 

Primé à la Biennale de Venise en 2007, dans la section ‘Orizzonti’, le documentaire « Useless » ou « Wuyong » (無用》) de Jia Zhangke (贾樟柯) peut être considéré comme le pendant de « Dong » (东》), réalisé parallèlement à Still Life  (三峡好人》), en 2006 (1).

 

« Wuyong » est cependant beaucoup plus profond et complexe. C’est une réflexion personnelle sur la création artistique, et l’impact de la modernité sur l’activité des créateurs, analysée ici sous l’angle

 

Useless/Wuyong, l’affiche

de la mode. « Quand je tourne une fiction, je cherche généralement à maintenir une certaine

 

Ma Ke

 

objectivité en présentant les personnages dans leur environnement. Quand je tourne un documentaire, je veux capturer le “drame” inhérent à toute réalité, et ainsi exprimer mes impressions subjectives. » 

 

Le film est construit autour de la personnalité un tantinet provocatrice de la styliste chinoise Ma Ke (馬可/马可), dont la marque Wuyong 無用 (2), qui donne son titre au film, a fait sensation à Paris à la Semaine de la Mode automne-hiver, en février 2007, où Jia Zhangke a filmé la présentation de la collection.

 

Ma Ke a récidivé avec un catwalk en mai 2008 au Victoria and Albert Museum à Londres, et avec une nouvelle présentation de collection en juillet 2008 dans les jardins du Palais Royal à Paris, devenant l’une des rares stylistes chinoises à acquérir une notoriété internationale

 

Au début était Ma Ke

 

Née en 1971 à Changchun (长春), Ma Ke est certainement un personnage fascinant, du genre iconoclaste et pourfendeur de tabous, qui ne pouvait que plaire à Jia Zhangke. Formée à l’Institut des arts de la soie de Suzhou (苏州丝绸工学院) dont elle est sortie diplômée en 1992, elle a dès le départ pris un soin extrême à se démarquer de ses pairs : sa première marque, en 2004, s’appelait Exception  (例外”)

 

Concept…

 

Elle a mis dix ans à concevoir sa ligne Wuyong, ce n’est donc pas le résultat d’une lubie passagère ou d’une inspiration soudaine : selon ses propres termes, «  Wuyong est une quête de l’éternelle valeur de la nature humaine. »

 

Au départ, il s’agissait d’une révolte contre le modèle général de la production chinoise qui consiste à fabriquer des produits bon marché pour le monde entier, sans avoir de créations propres ni de marques nationales, et en particulier dans le domaine vestimentaire. Elle a donc voulu créer une ligne originale de vêtements qui aient « une âme ». Pour cela, elle les veut résolument wu-yong, in-utiles, ou plutôt hors de toute notion d’utilité, c’est-à-dire des critères usuels de la consommation courante : hors marché.

 

Ma Ke avec un modèle Wuyong

(à l’effigie d’un soldat de l’armée du Premier Empereur)

  

On peut trouver là des accents romantique et penser à Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme etc.. ? » Mais il y a plutôt, derrière le concept, un léger relent de taoïsme, le  étant le non-existant, l’ineffable, au sein de tout, pouvant se décliner en une infinité de concepts, le 無為 wúwéi, ou non agir, par exemple, idéal proposé au souverain, invité à réfréner ses désirs et limiter son action pour laisser libre cours au fonctionnement merveilleux de la nature. Le concept d’inutilité 無用 wúyòng est, de la même manière, présenté comme un idéal face au délire de consommation actuel …

 

… et pratique

 

Modèles Wuyong

 

Pour obtenir le « supplément d’âme » ainsi recherché, Ma Ke travaille d’abord la matière première, les tissus : à base de fibres naturelles, lin, jute, coton, ils sont tissés à la main, puis, dûment froissés, sont enterrés pour se charger d’un contenu d’âme et d’histoire au contact de la terre qui est, pour les Chinois, le symbole des racines d’un passé millénaire. Ils sont, en outre, tissés avec des motifs en relief qui leur donnent un aspect somptueux, comme un tissu précieux couleur de terre.

 

Les vêtements sont ensuite montés et cousus à la main, dans un style très original, un rien extravagant, mais superbe: des robes aux emmanchures très basses et aux jupes en corolles, des manteaux volumineux s’évasant en masses impressionnantes jusqu’au sol, des choses étonnantes – plus objets d’art que vêtements - qualifiées par Ma Ked’« inutiles et luxuriantes » (無用即奢侈 wúyòng jí shēchǐ). 

 

Une collection mise en scène

 

Présentation de la collection au Victoria & Albert Museum

 

La collection a été présentée lors de l’ouverture la Semaine de la Mode automne-hiver à Paris, le 25 février 2007, dans le gymnase du lycée Stanislas, ce qui, déjà, sortait des sentiers battus. Les spectateurs étaient confrontés, dans l’obscurité, à un vaste rideau noir qui tombait d’un coup pour dévoiler une scène apparemment nue, où n’apparaissaient d’abord que quelques plots lumineux d’un blanc opalin éblouissant.

 

Richesse des matériaux

 

Un éclairage très étudié permettait ensuite de découvrir un à un divers personnages immobiles installés sur ces plots, dans des positions hiératiques, les yeux exorbités ou baissés, le visage et les cheveux enduits de terre, de la même couleur que les vêtements. L’anti-défilé de mode, en quelque sorte, dont l’objectif est normalement de présenter les collections en mouvement, pour leur donner un semblant de vie. Là, c’étaient les spectateurs qui étaient invités à se déplacer pour se rapprocher des modèles.

 

La présentation de la collection à Paris en février 2007

 

Puis vint Jia Zhangke

 

L’effet était saisissant et le documentaire le rend à merveille. On sent que Jia Zhangke a été fasciné, et on le comprend : Ma Ke a conçu sa présentation comme une exposition d’art contemporain, à contempler en oubliant presque qu’il s’agit de mode, le terme y perdant toute connotation de frivolité contingente.   

 

Mêmes recherches, mêmes idéaux

 

Le cinéaste a rencontré Ma Ke pour la première fois dans son atelier dans le sud de la Chine, à Zhuhai, alors qu’elle préparait la présentation de sa collection à Paris, justement. Il a senti très vite qu’ils procédaient tous les deux, à travers leurs créations, d’une même recherche, d’ordre à la fois éthique, spirituel et politique, sur la nature humaine au sens le plus large.

 

Pas étonnant qu’il en ait fait le fil conducteur de son documentaire :

 « À ma grande surprise, je me suis rendu

 

Ma Ke avec Jia Zhangke

compte que sa collection me faisait réfléchir sur les réalités sociales de la Chine, sur l’histoire, la mémoire, le consumérisme, les relations humaines, la grandeur et le déclin de la production industrielle. De plus, faire de Ma Ke le sujet de mon film m’offrait la possibilité d’observer les différents niveaux sociaux en suivant le processus de fabrication dans l’industrie textile, depuis la création … jusqu’à la présentation de collection. »    

 

Le film dépasse donc le simple aspect documentaire sur la styliste et ses collections pour aborder toute l’industrie du vêtement en Chine, et au-delà, nous donner, une fois de plus, une image de la Chine en pleine évolution.

 

Un film en trois parties

 

Le film est construit en trois parties, la partie centrale étant consacrée à la styliste - le côté « useless », et les deux autres en étant en quelque sorte le négatif - la vision « utile ».

 

Useless, l’atelier de Ma Ke

 

Le film commence ainsi à Canton, sur un superbe panorama de gratte-ciels aussi impersonnels que possible, pour nous faire pénétrer dans l’une de ces usines qui sont la clé de la prospérité de la région. Mais la caméra filme sans pathos, ce n’est ni misérable ni clinquant, juste efficace. La séquence se termine par un aperçu de la production, sur des cintres rangés sur des fils, prêts à partir pour les supermarchés chinois, européens ou autres.

 

Un détour par des vitrines Prada, Dior et Louis Vuitton nous amène à l’autre versant de la consommation de masse : celle des produits de luxe étrangers prisés par les Chinois, mais la différence n’est finalement pas si grande. Ce n’est peut-être simplement qu’une question de budget ; le produit lui-même est tout aussi dénué de ce contenu d’âme recherché par Ma Ke.

  

La dernière partie nous transporte au Shanxi, dans ce Fenyang si cher à Jia Zhangke – parce qu’il en est originaire. Il s’intéresse là à des petits tailleurs dont le métier représente l’autre versant utilitaire de la fabrication des vêtements en Chine : le côté humble et populaire, enraciné dans la tradition, le vêtement étant traditionnellement, avec la nourriture, l’un des deux besoins de base du peuple chinois, avant même le toit.

 

Or ces petits métiers ne représentent plus, aujourd’hui, que de précaires stratégies de survie, et se meurent sous la concurrence des grandes usines du sud. Un ancien tailleur l’explique très bien : il fabriquait un pantalon pour quarante yuans, les pantalons vendus maintenant sur le marché en coûtent trente, il ne pouvait pas lutter ; il a donc arrêté et s’est fait embaucher dans la mine locale.

 

Il en sort couvert de terre noire, ce qui donne une superbe séquence de lavage

 

Useless, le tailleur de Fenyang

collectif … et l’occasion de filmer les pantalons des mineurs séchant sur une corde, image d’un monde en marge de la croissance à deux chiffres dont se targue le pays (ou s’en targuait il y a peu encore), et rappelant les vêtements maculés de Ma Ke, transformés eux, dans un autre univers, en purs objets esthétiques.

 

Cependant, même dans le monde sombre de la mine, le souci d’esthétique n’est pas absent : l’épouse de l’ancien tailleur arbore un beau chemisier de soie rose, elle est gênée de l’attention que la caméra lui porte, mais son mari, lui, est très fier de dire que c’est lui qui l’a choisi. La beauté est finalement un besoin universel, aussi important que la nourriture ou le logis.

  

La boucle est ainsi bouclée, même si la dernière partie peine un peu à trouver son souffle après la superbe envolée qui la précède. Jia Zhangke avait fait le pari de se servir des vêtements pour observer la société chinoise : pari réussi. La Chine apparaît au final comme un kaléidoscope, une « allégorie composite », une superposition de situations diverses, symbolisées par Ma Ke et Fenyang, tout autant que Canton, différentes mais enracinées dans des traditions qui finalement les relient. C’est peut-être cela qui en fait toute la richesse, au-delà des clichés sur l’opposition riches-pauvres ou nantis-laissés pour compte, car ce que nous montre Jia Zhangke, c’est finalement le même pays, où chacun essaie de trouver une place à sa mesure.

 

Après Jia Zhangke

 

Le « style Liyuan »

 

Cependant, Ma Ke est en passe de devenir maintenant un symbole national depuis qu’elle a été choisie pour dessiner la garde-robe officielle de la première dame de Chine. C’est elle, en effet, qui a dessiné les robes que portait Peng Liyuan (彭丽媛), épouse du président chinois Xi Jinping (习近平), lors du voyage présidentiel chinois en Russie en mars 2013. Ma Ke est ainsi apparue comme la réponse chinoise au

styliste sino-américain Jason Wu qui habille Michelle Obama.

 

Devenu depuis lors un élément du soft power chinois, le « style Liyuan » (丽媛style) risquait de faire perdre à Ma Ke sa prétention à « l’inutilité ».Mais elle a utilisé pour Peng Liyuan sa première ligne, Exception… exception à l’idéal de l’inutile.

 

 

Notes

(1) « Dong » est le pendant documentaire de « Still Life » ; il montre le processus de création  des œuvres monumentales du peintre Liu Xiaodong (刘小东) illustrant l’impact de la construction du barrage des Trois Gorges sur la vie dans les villes et bourgades le long du fleuve, menacées par la montée des eaux.

(2) Les deux caractères 無用– dans leur graphie traditionnelle - correspondent à la griffe de Ma Ke, ce sont ceux qui apparaissent sur ses vêtements ; il est dommage d’utiliser la graphie simplifiée 无用, car la graphie originale a un équilibre visuel dont a joué, entre autres, le concepteur de l’affiche du film.

 

Le film 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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