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« Xuanzang » : un film qui ne se résume pas à de beaux paysages

par Brigitte Duzan, 5 novembre 2016

 

« Xuanzang » (《大唐玄奘》), nous dit-on, est la première coproduction sino-indienne, c’est aussi le film que la Chine a choisi pour la représenter aux Oscars de 2017. C’est un film de Huo Jianqi (霍建起), qui avait des atouts certains pour être une réussite : un sujet fascinant, rarement traité au cinéma [1], des conseils éclairés du maître bouddhiste Xinhai (心海法师), une photographie somptueuse, une recherche de la précision historique et une interprétation inspirée de Huang Xiaoming (黄晓明) dans le rôle du célèbre moine.

 

Il est vraiment dommage que le scénario soit grevé de lourdeurs inutiles, et que le montage n’ait pas été plus rigoureux : le film est bien trop long. Tel qu’il est, c’est cependant un film intéressant qui mérite le détour et laisse songeur à plus d’un titre, ne serait-ce que par les messages liminaires qui se profilent derrière l’image et les dialogues, comme la plage sous les pavés… il ne faut pas oublier que c’est une (co) production China Films.

 

Xuanzang

 

Commençons par le scénario.

 

Un scénario sur les traces de Xuanzang

 

Le film retrace le parcours du moine tel qu’il est connu à partir de son propre « Mémoire sur les contrées de l’ouest » (大唐西域记) [2], écrit à son retour à Chang’an à la demande de l’empereur Tang Taizong, rédigé avec l’aide du disciple Bianji (辨机) et achevé en 646. C’est un document remarquable sur les contrées traversées et un tableau du bouddhisme de son temps, bien plus intéressant que la biographie un tantinet hagiographique de Xuanzang par son disciple Huili (慧立).

 

En effet, il révèle aussi le caractère du moine pèlerin : personnage doté d’une volonté opiniâtre, et d’un esprit curieux et vif, qui n’est pas dupe des apparences. S’il relate les faits miraculeux de la légende du Bouddha, c’est avec une saine prudence. En fait, la foi de Xuanzang est empreinte du sentiment du déclin du monde, et de l’approche de temps difficiles, lié aux croyances maitreyennes qui étaient les siennes.

 

Une enfance en flashback

 

Le film passe sur l’enfance et la jeunesse de Xuanzang, pour se concentrer sur les étapes essentielles de son voyage. Son enfance est évoquée dans un flashback qui tient du rêve éveillé, dans l’un des rares moments de désespoir du moine, alors que, à cours d’eau, il pense ne jamais pouvoir survivre à la traversée du désert. Mais c’est une évocation qui tient de la légende dorée, avec un Xuanzang sauvé des eaux comme Moïse, dans une panière dérivant au fil du courant…

 

En réalité, Xuanzang est né en 602 dans le bourg de Goushi (缑氏镇), district de la ville de Luozhou (洛州) qui était alors la capitale du Henan, c’est-à-dire aujourd’hui Luoyang (洛阳). La famille avait compté nombre de notables depuis les Han, son père était magistrat sous les Sui, et il était le plus jeune de quatre enfants, élevé par leur père dans l’observance des rites confucéens.

 

Son père meurt en 611, et il va vivre avec son frère aîné au monastère de la Terre pure ou Jingtu (净土寺) à Luozhou. Il y est ordonné novice dès l’âge de 13 ans. En 618, en raison des troubles accompagnant la chute de la dynastie des Sui, il s’enfuit avec son frère à Chang’an, devenue capitale de la nouvelle dynastie des Tang, puis à Chengdu où il est ordonné moine en 622, à l’âge de vingt ans. Il laisse ensuite son frère pour revenir à Chang’an continuer ses études, du bouddhisme, mais aussi du sanskrit à partir de 626.

 

Les contradictions dans les textes le persuadent de la nécessité d’aller en Inde, aux sources de la religion. En 629, un rêve achève de le convaincre de se mettre en route. C’est là que commence le film.

 

Un périple de dix-sept ans

 

 

La carte du voyage, de Chine en Inde et retour

 


Après une séquence introductive inutile, le voyage est divisé en deux parties, l’une en Chine et l’autre en Inde, avec des acteurs chinois d’un côté, indiens de l’autre, division correspondant à la structure de coproduction du film.

 

1.       Chine.

 

Les vestiges de la Grande Muraille près de la passe de Yumen

 

Nous sommes donc à Chang’an. Premier problème : l’empereur étant en guerre avec les tribus turques de l’ouest, il a interdit tout voyage dans ces régions, Xuanzang ne peut donc partir avec une autorisation en bonne et due forme. Il doit ruser pour se faufiler hors de la ville. A Liangzhou (凉州), on le prend pour un espion, puis à Guazhou (瓜州), aujourd’hui Anxi (安西), à l’autre bout du corridor du Hexi, il doit convaincre le gouverneur, Li Chang (李昌), de le laisser passer, et le problème se repose une fois qu’il est arrivé

à la passe de Yumen, ou Porte de Jade (玉门关), qui, à l’extrémité ouest de la Grande Muraille, est alors la limite des territoires contrôlés par l’empire des Tang [3]. Yumen, c’est la fin du monde civilisé.

 

Xuanzang est venu à bout des obstacles, mais il est seul. Il continue jusqu’à Hami, arrive à Turpan… En chemin, le scénario lui ménage quelques rencontres habilement choisies pour animer son parcours : en sortant de Guazhou, il rencontre un marchand qui parcourt la Route de la Soie en emportant des vers à soie en fraude ; puis attire un disciple, Shi Pantuo (石槃陀), qui le laisse cependant poursuivre seul au bout d’un certain temps ; il rencontre aussi une jeune fille énigmatique qui semble surgie du désert. Dans son Mémoire,

 

Le gouverneur de Liangzhou (interprété par Xu Zheng)

Xuanzang raconte une attaque de bandits, mais le film a négligé cet épisode. En revanche, Xuanzang a une longue discussion avec le gardien d’une tour de guet qui est là depuis sept ans, au bord du désert, et se morfond dans sa solitude en rêvant du jour où il pourra revenir à Chang’an.

 

Le roi de Gaochang éploré priant Xuanzang de se nourrir

 

Xuanzang manque ensuite de mourir en traversant le désert du Taklamakan. Mais il finit par arriver à Yiwu, et de là continue jusqu’au royaume de Qocho, ou Gaochang (高昌) qui était, parmi les oasis du Tarim, au sud des monts Tangshan, le royaume plus proche de l’empire des Tang. Il était depuis 501 gouverné par une famille originaire de la commanderie de Jincheng (金城 auj. Lanzhou) dans le Gansu, la famille Qu, qui, en 607, avait fait allégeance à la dynastie des Sui.

 

C’est Qu Wentai (麴文泰) qui accueille Xuanzang dans son royaume en 629 [4]. Fervent bouddhiste, il l’accueille à bras ouverts, et tente de le forcer à rester à Gaochang, en ne lui donnant d’autre choix que de revenir à Chang’an, jusqu’à ce que Xuanzang le fasse céder en refusant de s’alimenter. Xuanzang repart. 

 

Finalement, sur la bordure nord du désert de Taklamakan, il arrive à Kucha, Ce fut d’abord un centre de bouddhisme hinayana, alors que Khotan, en bordure sud du désert, était un centre de bouddhisme mahayana. C’est de Kucha qu’était originaire le grand traducteur du 5ème siècle, le moine Kumārajīva (344-413). Xuanzang y est passé vers 630 et en a laissé des descriptions dans ses écrits. Il a été reçu par le roi Suvarnadeva, un fervent du bouddhisme hinayana qui s’était déclaré vassal des Tang [5]

 

2.       Inde

 

Le scénario passe rapidement sur cette partie du voyage, en évoquant en quelques intertitres le passage par Kashgar, Samarkande, les plaines d’Asie centrale, puis la traversée du nord de l’Inde pour montrer Xuanzang arrivant en 637 au grand monastère de Nalanda, dans le Bihar, pour pouvoir réaliser son rêve, outre la collecte de textes sacrés : l’étude du Yogācāra avec le vénérable Shilabhadra.

 

Arrivée au monastère de Nalanda

 

Après quelques années d’études, il continue en visitant de nombreux autres lieux sacrés, dont Ayodhya, centre de l’école Yogacara, Kapilavastu et Lumbini, lieu de la naissance du Bouddha, puis Kusinagara, lieu de sa mort. 

 

L’empereur Harsha

 

Il revient à Nalanda en 642, et c’est là qu’il sort vainqueurd’un débat théologique organisé à Prayag par l’empereur Harsha, le Kumbh Mela.

 

Cet empereur Harsha sur le territoire duquel se trouvait Nalanda était un personnage haut en couleur dont le scénario fait l’un des éléments centraux de cette seconde partie du film, en Inde. Cet empire couvrit tout le nord de l’Inde entre 606 et 647, après la chute de l’empire Gupta. Pendant ce demi-siècle, l’empereur a assuré paix et prospérité, maintenu des relations amicales avec la Chine et attiré artistes et visiteurs religieux, dont Xuanzang qui y passa huit ans. La conversion de sa sœur Rajyashri semble avoir été déterminante dans le soutien qu’il a apporté au bouddhisme. Il a été un grand mécène et a fait de nombreux dons à Nalanda. En outre, après la première visite de Xuanzang, il a envoyé une mission en Chine, en 641, et a ainsi été le premier empereur indien à établir des liens diplomatiques avec l’empire chinois.

  

On le décrit aussi comme souvent pris d’exaltation mystique, donnant ses biens en aumône, biens alors rachetés par les rois alentour pour les lui rendre. Mais ce serait plutôt coutume que romantisme, coutume à laquelle il se conformait tous les cinq ans, « à l’exemple des rois ses aïeux » (selon le « Mémoire sur les contrées occidentales »). C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles son royaume a été si éphémère.

 

3.       Retour

 

L’empereur Harsha a couvert Xuanzang d’honneurs, et l’a raccompagné en grande pompe quand le moine pèlerin est reparti en Chine. Arrivé à l’oasis de Khotan, Xuanzang fit parvenir un message à l’empereur Taizong qui envoya une escorte l’accueillir à Dunhuang. La grotte 103 commémore son voyage de retour.

 

Après Dunhuang, Xuanzang est arrivé à Chang’an le 7ème jour du premier mois de 645. Il refusa les honneurs et se retira dans un monastère pour se plonger dans la traduction des 657 textes qu’il avait rapportés, avec

 

Dunhuang, grotte 103 (période 712-765) :

Xuanzang revenant d’Inde (montré traversant le Pamir,

l’éléphant blanc est un cadeau de Harsha ; mais, lors d’une attaque

de bandits, l’éléphant se rua dans une rivière et se noya)

toute une équipe fournie par l’empereur Taizong. On dit qu’il en a traduit 74 lui-même.

 

En même temps, à la demande de l’empereur, il entreprit un immense mémoire sur son voyage, « Mémoire sur les contrées occidentales » (大唐西域記), achevé en 646, et traduit en français par Stanislas Julien en 1857 [6].

 

Les sources du scénario

 

1. Le scénario est porté au crédit du dramaturge et scénariste Zou Jingzhi (邹静之), dont les scénarios les plus récents sont ceux des derniers films de Zhang Yimou et Wong Kar-wai, « Coming Home » (《归来》) et « The Grandmaster » (《一代宗师》).

 

2. Mais le générique précise qu’il est en partie basé sur un scénario antérieur de Xue Keqiao (薛克翘) et Mu Jun (木君) intitulé « Xuanzang » (玄奘), et en partie sur une biographie de Xuanzang écrite par le maître bouddhiste Xinhai (心海), biographie dont le film a repris le titre : « Xuanzang, de la grande dynastie des Tang » (《大唐玄奘》).

 

Né en 1945 à Dalian dans le Liaoning (辽宁大连), Xue Keqiao est diplômé du département de langues orientales de l’université de Pékin Beida. Puis, à partir de 1982, en tant que chercheur à l’Académie chinoise des sciences sociales, il a étudié et traduit de nombreux textes de la littérature indienne. Il est l’auteur de scénarios et de livres, sur le bouddhisme en Chine et les relations culturelles entre Chine et Inde entre autres.

 

Maître Xinhai

 

3. Le plus important, cependant, est le moine Xinhai qui, à bien des égards, ressemble beaucoup à son modèle et sujet d’étude. Il est né en 1975 dans une famille de fidèles bouddhistes, dans le district de Zherong, dans le Fujian (福建省柘荣县). Peu après sa naissance, sa mère se fait nonne, il a donc grandi au monastère, et il est devenu moine en 1991.

 

Xinhai lors de la cérémonie d’inauguration du tournage du film

 

En 1998, il est invité à enseigner au Centre d’études bouddhistes du Fujian du monastère Guanghua de Putian (莆田广化寺) [7], puis,en 2001, à l’Institut d’études bouddhistes du monastère Nongchan de Fuzhou (福州农禅佛学院).  En 2002 il devient supérieur du monastère Jinshan de Changle (长乐市金山寺) – district de Fuzhou, et en même temps directeur adjoint de la Société d’études bouddhistes de Changle. En juin 2004, il est invité à devenir supérieur du monastère Shousheng de la ville de

Jiangyan, district de Taizhou dans le Jiangsu (姜堰市古寿圣寺), puis, en juin 2009, celui du monastère Lüshuchan. Il est membre du conseil municipal de Jiangyan, et directeur adjoint du centre d’études bouddhistes de Taizhou….

 

C’est un personnage officiel et charismatique. Il a non seulement écrit une biographie de Xuanxiang qui a servi de base au scénario de Zou Jingzhi, mais il s’est en outre passionné pour le projet du film, en a été l’un des principaux conseillers, et a participé au tournage. On est frappé, en voyant certaines images, de voir à quel point l’acteur Huang Xiaoming finit par lui ressembler par moments, tous deux semblant investir le personnage de Xuanzang, et le vivre de l’intérieur comme par un curieux processus de mimétisme.

 

Xinhai et Huang Xiaoming sur le tournage du film

  

Tout est donc fait pour privilégier le réalisme, basé sur les meilleures sources. Et l’effet de réalisme est créé à l’écran par l’image et l’interprétation.

 

Une image somptueuse et une interprétation hors pair

 

« Xuanzang » a les qualités techniques d’un film chinois actuel, privilégiant l’impact visuel avant tout. Malgré la difficulté d’un sujet centré sur le voyage d’un moine solitaire, Huo Jianqi arrive à donner de la vie à son personnage et à son film. Une palme particulière revient à l’acteur principal.

 

Désert photogénique

 

Les ruines de Nalanda

 

La première partie du film a été tournée dans le grand ouest chinois, sur les lieux mêmes qu’a parcourus Xuanzang (une dizaine de sites dans les provinces du Gansu et du Xinjiang, y compris le désert du Taklamakan), puis en Inde, dans les ruines mêmes du monastère de Nalanda. Les détracteurs du film ironisent : vous pouvez au moins vous caler dans votre fauteuil et admirer le paysage… Les séquences dans le désert sont particulièrement réussies… hormis la séquence en flashback sans doute jugée

nécessaire pour couper la monotonie de cette partie du parcours.  

 

La photographie est signée Sun Ming (孙明), et Nie Yunxing (聂运兴) plus spécialement pour la photographie aérienne.

 

Recherche de l’authentique

 

Les costumes et décors sont calqués sur l’iconographie des documents historiques. C’est vrai tout particulièrement de Xuanzang, dont l’image à l’écran est remarquablement fidèle à sa représentation picturale la plus connue, qui se trouve aujourd’hui au musée de Tokyo, avec sa célèbre hotte pour rapporter les sutras,

 

L’écueil, dans ce genre de film, est de dériver vers la reconstitution pour feuilleton télévisé, et on en est souvent proche dans « Xuanzang ». La cour de l’empereur Harsha, en particulier, est aux confins du folklorique, mais il faut rendre grâce à Huo Jianqi – ou aux besoins de la coproduction - d’avoir limité ces séquences au minimum.

 

Le film n’évite pas le faux-semblant historique dans les séquences en Chine, non plus. C’est l’intériorisation du personnage de Xuanzang qui le sauve, et ce grâce à la mise en scène, mais surtout à l’interprétation.

 

Mise en scène ardue

 

Huo Jianqi avait une tâche difficile, avec deux défis : d’une part, il lui fallait animer un parcours solitaire ; d’autre part, il lui fallait éviter le pathos mélodramatique des productions chinoises habituelles.

 

Xuanzang / Sanzang, représentation traditionnelle (Musée national de Tokyo)

 

Cérémonie de début de tournage du film, par maître Xinhai, près d’Urumqi (derrière Xinhai : Huo Jianqi en chemise à carreaux)

 

La première tâche a été facilitée par le scénario qui prévoyait, dans la première partie en Chine, un parcours ponctué de rencontres, encore fallait-il donner à ces personnages ponctuels un semblant de véracité. C’est assez bien fait, grâce à des interprètes qui donnent vie à ces rencontres épisodiques, avec même une petite nuance d’humour de temps à autre.

 

Le mélo n’est cependant pas évité, en particulier dans la séquence à Gaochang, où le roi s’effondre en larmes devant un Xuanzang en plein jeûne de protestation,

l’implorant bras tendus de bien vouloir s’alimenter. On le frôle à d’autres moments, dans la séquence féminine obligée, par exemple, où la jeune beauté du désert verse une larme en voyant le moine partir seul, sans parler des scènes à Nalanda. 

  

Si le film ne sombre pas dans le mélo pur, c’est grâce à Huang Xiaoming (黄晓明), dans le rôle que l’on eût volontiers cru impossible de Xuanzang.

 

Xuanzang ? Huang Xiaoming 

 

Huang Xiaoming semble vivre son personnage de l’intérieur, en traduisant non tant le recueillement attendu du moine pèlerin, que son incroyable détermination à 

 

Huang Xiaoming

poursuivre son voyage jusqu’à son but final, celui qu’il s’est fixé au départ, et qu’il prolongera une fois arrivé à Chang’an en passant le reste de sa vie à traduire les textes rapportés d’Inde. 

 

Le modèle : Xinhai, entouré de Huang Xiaoming et Purba Rgyal
(acteur tibétain, interprétant le "disciple" Shi Pantuo)

 

Ce n’est pas un moine dans le siècle, c’est un moine plongé dans un univers intérieur traversé par moments de brèves incursions dans le monde extérieur. Un univers intérieur essentiellement reflété sur le visage, évitant les discours superflus sur des points de doctrine qui n’apparaissent que dans la séquence de Nalanda, en prélude au grand débat du Kumbh Mela.

 

 

C’est dans cette interprétation que le film trouve tout son intérêt : si l’on arrive à passer outre ses lourdeurs appuyées, on est fasciné par l’image donnée de ce moine splendide ; on comprend qu’il ait pu susciter autant de ferveur, et on a envie de se plonger dans ce fameux Mémoire écrit pour l’empereur, et traduit en son temps par un autre admirateur, le grand sinologue Stanislas Julien.

 

Le message du film n’est pourtant pas là, ou du moins pas seulement là.

 

Après Confucius, Xuanzang

 

On peut s’étonner du choix d’un moine bouddhiste comme sujet d’une grosse production officielle de China Films, choisie, qui plus est, pour représenter la Chine aux Oscars. Car enfin, le bouddhisme a été la cible de la vindicte du régime maoïste dès ses débuts, et les monastères ont été

 

La hotte du film

systématiquement détruits pendant la Révolution culturelle. S’ils ont été restaurés par la suite, la religion reste sous surveillance.

     

La traversée du désert

 

Mais le bouddhisme a acquis une nouvelle importance ces dernières années, en particulier avec le lancement de tout un programme idéologique autour du concept de Nouvelle Route de la Soie ou « One Belt, One Road »  (一带一路), qui, de manière significative, suit le même tracé que celui de Xuanzang dans sa partie terrestre chinoise, de Xi’an (Chang’an) à Urumqi.

 

C’est toute une stratégie de développement, qui a un important

volet culturel [8], et religieux. « Xuanzang » en fait implicitement partie. Le film traduit une volonté du pouvoir chinois de réappropriation du bouddhisme à ses propres fins, comme il a tenté de se réapproprier le confucianisme, comme en témoigne le « Confucius » (《孔子》) de Hu Mei (胡玫) – autre superproduction de China Films.

 

Mais de gros progrès ont été faits en six ans. Si la reconstitution historique est semblable, un gros effort a été réalisé sur l’interprétation. Plus de grandes vedettes, Chow Yun-fat en tête, discréditant toute tentative d’authenticité, ni de séquence "rose" comme l’entrevue de Confucius avec Nanzi. Xuanzang fait juste verser une larme à une jeune fille à peine entrevue à l’orée du désert.

 

Le didactisme n’a pas disparu pour autant, le message apparaît à plusieurs reprises, comme un cheveu sur la soupe. C’est le cas dans la séquence à Gaochang (encore) : l’épouse de l’empereur demande gentiment au moine d’indiquer le sutra idoine pour bien gouverner, et Xuanzang impavide de lui indiquer le Sutra du Cœur. Ce qui semble légèrement anachronique, vu que ce sera l’un des principaux textes traduits par Xuanzang  mais un peu plus tard… en attendant, l’empereur bienveillant gouverne selon le dharma.

 

Le bouddhisme est revendiqué comme chinois, la transmission est directe d’Inde en Chine, dans sa forme mahayana, grâce, entre autres, à Xuanzang ; d’ailleurs, vers la fin du film, il est bien dit que, alors que Xuanzang prend le chemin du retour, le bouddhisme est sur son déclin en Inde, mais en plein essor dans l’empire chinois, et n’attend qu’un grand maître pour se développer sur des bases solides.

 

Cette réappropriation a une autre conséquence : celle de reléguer le bouddhisme tibétain à un rang marginal, ou inférieur. Bouddhisme tibétain qui revendique son authenticité de ses sources indiennes…

 

Il faut aller voir « Xuanzang », et ne pas se contenter de contempler les paysages.

 

Le film

 


 

Note sur la musique

 

La musique est très discrète ; elle est du musicien rock, compositeur de musique d’opéra et critique musical Wang Xiaofeng (王晓锋).

 

La bande-son comporte en outre deux chants, le second, qui accompagne le générique final, interprété par Faye Wong : c’est l’une des actrices fétiches de Wong Kar-wai qui est crédité au générique comme « conseiller artistique ».

 

"Qiannianyibore" (千年一般若) interprété par Han Lei 韩磊

[般若 bōrěprajña, la grande sagesse]

 

 

Chant final :"Heart Sutra" interprété par Faye Wong [9].

王菲献声《大唐玄奘》片尾曲MV《心经》

 

 


 

Eléments bibliographiques

 

Les classiques

 

- On Yuan Chwang's travels in India, 629-645 A.D, by Thomas Watters, London, Royal Asiatic Society 1904.

Version numérisée : https://archive.org/details/cu31924071132769

- Mémoire sur les contrées occidentales, par Xuanzang, trad. Stanislas Julien, Paris L’imprimerie impériale 1857, 2 vol.

La traduction de l’ouvrage écrit par Xuanzang sur son voyage à la demande de l’empereur Tang Taizong, version numérisée :

Vol. 1 https://archive.org/details/mmoiressurlesco01juligoog

Vol. 2 https://archive.org/details/mmoiressurlesco00juligoog

- Sur les traces de Bouddha, René Grousset, Paris Plon 1929, réédition poche 10/18 1966, Perrin 1998, L’Asiathèque 2007.

Une histoire des pèlerins chinois au 7ème siècle, et d’abord Xuanzang, avec un tableau de la Chine et de l’Asie centrale à l’époque des Tang, plus un sommaire du bouddhisme à la même époque. Fortement inspiré de La vie de Xianzang de Huili.

Analyse de l’ouvrage original : http://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1929_num_29_1_3284

 

Les ouvrages plus récents

 

- Xuanzang : A Buddhist Pilgrim On The Silk Road, Sally Hovey Wriggins, Westview Press, 1996

Description détaillée illustrée du voyage de Xuanzang, étape par étape, mais sans analyse du bouddhisme à l’époque.

- Chasing the Monk’s Shadow : a Journey in the Footsetps of Xuanzang, Mishi Saran, Penguin Books, 2008.

Par une spécialiste de travelwriting, née en Inde mais diplômée d’études chinoises de Wellesley College.

- Dust in the Wind : Retracing Dharma Master Xuanzang’s Western Pilgrimage, ed. Wang Chichhung, Taipei 2006.

Les buts et résultats du voyage de Xuanzang dans une approche bouddhiste.

Version numérisée :

https://books.google.fr/books?id=8rLUbuZLiaIC&pg=PA62&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

- Ten Thousand Miles without a Cloud (sur les traces de Xuanzang), Sun Shuyun (孙书云), Harper Collins 2003.


 


[1] Hormis les multiples adaptations du roman « Le voyage vers l’ouest » (《西游记》) de Wu Cheng’en (吴承恩) qui ne sont qu’une version hautement fantaisiste du voyage du moine.

[2] Voir bibliographie ci-dessous.

[3] Aujourd’hui dans le Gansu, à l’ouest du corridor du Hexi, au bord du désert de Gobi.

[4] Qu Wentai se rebellera contre les Tang en 640 en s’alliant avec les Turcs ; il sera vaincu par l’empereur Taizong et son royaume annexé par l’empire chinois.

[5] En 644, il s’allia avec les Turcs et fut vaincu par l’empereur Taizong. C’était une région aux alliances très volatiles. Xuanzang est passé au bon moment.

[6] Voir bibliographie ci-dessous.

[7] Construit en 558, utilisé comme usine pendant la Révolution Culturelle, mais restauré à partir de 1979, le monastère abrite aujourd’hui un centre d’études créé en 1983, et compte près de 250 moines.

[8] Dans le domaine cinématographique avec les films shaoshuminzu, et dans le domaine littéraire avec tout un programme de traductions, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Histoire_litteraire_Litterature_Xinjiang.htm

[9] Le Sūtra du Cœur est probablement le texte le plus connu du bouddhisme mahayana, et l’un des plus importants. Il est appelé ainsi parce qu’il contient le cœur de l’enseignement de la Prajñāpāramitā, un ensemble de textes écrits entre le 1er et le 6ème siècle dont le thème principal est la sagesse transcendante ou Prajñā. La version chinoise la plus connue est la traduction de Xuanzang.

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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