« She,
a Chinese » : un voyage intérieur de Guo Xiaolu
par Brigitte
Duzan, 24 mars 2010,
révisé 22 novembre 2012
Coproduction franco-allemande ayant bénéficié d’une
aide du Fonds Sud cinéma, « She, a Chinese » (《中国姑娘》)
est le premier film revendiqué par sa réalisatrice,
Guo Xiaolu (郭小櫓),
comme étant
« entièrement de fiction » (1). Mais, chez elle, la
fiction est tellement étroitement imbriquée au réel,
même dans ses films « documentaires », qu’il n’y a
pas, le plus souvent, de démarcation claire entre
les deux.
Guo Xiaolu,
en fait, ne cesse, d’une manière ou d’une autre, de
se raconter. C’est encore le cas de « She, a
Chinese », la seule différence avec les films
précédents étant que celui-ci est joué par des
acteurs et qu’il a été réalisé à partir d’un
scénario préalable.
Un scénario
un peu rocambolesque
La jeune
Mei (梅),
le personnage principal,
alter ego de la réalisatrice, quitte son village
She a Chinese
pour la ville,
Chongqing en l’occurrence, où elle est engagée dans une fabrique
de vêtements pour
Léopard d’or au
festival de Locarno
être aussitôt
licenciée. Elle trouve alors un emploi dans un
‘salon de coiffure’ où elle fait la connaissance
d’un tueur à gages dont elle tombe amoureuse et qui
revient un soir, un couteau dans le dos, mourir à
ses pieds, en lui léguant une liasse de billets
cachés sous son matelas.
Avec ce
butin inattendu, Mei s’envole pour Londres où la vie
semble reprendre le même cours qu’en Chine. Elle
épouse un veuf de soixante-dix ans pour tenter de
s’en sortir, mais s’ennuie vite mortellement. Elle
le quitte alors pour un immigrant indien qui finit
par rentrer dans son pays en la laissant seule,
enceinte, face à un avenir des plus incertains…
Le scénario
a des faiblesses et le film quelques temps morts :
si le personnage principal est remarquablement bien
campé, les personnages masculins sont laissés dans
le flou, en particulier celui de l’Indien, dont le
caractère n’est
pas approfondi et quelque peu
incohérent.
Mais
surtout un voyage intérieur
Mais ces
faiblesses sont finalement secondaires. « She, a
Chinese » est en fait l’odyssée d’une jeune Chinoise
à la recherche d’aventures, d’une vie nouvelle, mais
surtout à la recherche d’elle-même : c’est un voyage
intérieur autant qu’un voyage à la découverte du
monde, un voyage de l’esprit conté avec détachement,
sans pathos, mais avec la force de quelqu’un qui est
passé par là.
Mei en balade sur fond
de ville nouvelle
émergeant d’un terrain
vague
Exercice de tir
Car Guo
Xiaolu sait de quoi elle parle : c’est cequ’elle-même a
vécu, peu ou prou, et qu’elle a déjà raconté dans ses
livres, « Fenfang’s 37.2 Degrees » (《芬芳的37.2度》2000)
et « Village of Stone » (《我心中的石头镇》2003)
en particulier (2).
Elle a
trouvé une interprète parfaite dans la jeune actrice
Huang Lu (黄璐)
qui lui ressemble comme une petite sœur et donne la
profondeur requise au personnage de
Mei (3).
Surtout, si
le ton est détaché, le film a un rythme qui emporte
l’adhésion, soutenu par une bande son formidable,
signée John Parish, faite à la
fois de compositions originales et de montages de chansons
antérieures,
remarquablement bien choisies, en particulier la
dernière, « Lonely, Lonely », d’un album de Feist,
qui clôt le film sur une note de douce tristesse.
Avec « She,
a Chinese », Guo Xiaolu a cherché à dépasser les
frontières naturelles et habituelles du cinéma
chinois, surtout centré sur des thèmes
spécifiquement chinois, en tentant de trouver un
sujet et un style qui répondent à la
« globalisation » du monde moderne, en se basant sur
son histoire personnelle, ce qui donne à son film un
ton authentique. En paraphrasant Flaubert, elle
pourrait dire : Mei, c’est moi….
Travail sur la
photographie
Lonely, Lonely
Huang Lu
Elle semble
avoir convaincu les critiques puisque le film a
obtenu le Léopard d’or au 62ème festival
de Locarno, en août 2009, et a, depuis lors, fait le
tour des grands festivals internationaux….
Bande annonce
Notes
(1) Le titre
chinois - Zhōngguó gūniang《中国姑娘》-
est, entre autres,
aussi la traduction chinoise du titre du film de Godard « La
Chinoise ».
(2)Le second a été
traduit en français sous le titre « La ville de pierre »
(Philippe Picquier, janvier 2004). Le premier a été réécrit
et publié en anglais en 2008 sous le titre « 20
Fragments of a Ravenous Youth », puis traduit en français (« 20
Fragments d'une jeunesse vorace »,Buchet
Chastel,février
2009)
Sur l’œuvre
littéraire de Guo Xuaolu, voir chinese shortstories…. (à
venir)
(3) Huang Lu n’est
pas une actrice très médiatique. Elle s’est fait connaître
en 2007 par les rôles qu’elle interprète dans « Blind
Mountain » (《盲山》)
de Li Yang (李杨),
et dans
« The
Red Awn » (《红色康拜因》)
de
Cai Shangcun (蔡尚君).