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« La Rose de Wouke » : ultime film d’opéra avant la Révolution culturelle 

par Brigitte Duzan, 24 janvier 2012

 

Sorti en 1963, « La Rose de Wouke » (花为媒) est un film adapté d’un opéra pingju, sur un scénario de Wu Zuguang (吴祖光). C’est une œuvre exceptionnelle à de nombreux points de vue, une œuvre d’une grande beauté, poétique et musicale.

 

Ce genre de film d’opéra était toujours aussi prisé du public chinois à l’époque où il fut réalisé, et faisait même l’objet de recherches de la part des cinéastes pour en améliorer la qualité esthétique. Cependant, en 1963, le vent était en train de tourner, et d’autres recherches étaient en cours….

 

La rose de Wouke

 

1. Le film

 

Une adaptation d’un opéra pingju

 

La pièce est l’une des plus célèbres du répertoire de l’opéra pingju (评剧).

 

Défilé de yangge

 

Cette forme d’opéra régional a pour origine les chants et danses yangge (秧歌) du nord de la Chine, colorées et joyeuses, danses paysannes pour célébrer le premier mois de l’année lunaire : les chants et danses sont rythmés par des gongs et des tambours, et accompagnés surtout par des suonas. C’est pendant la dynastie des Ming que le yangge s’est développé, lorsque de nombreux conteurs et chanteurs en ont fait leur profession. A la fin des Qing, il a

intégré le style du théâtre d’ombres, avec des histoires en vers accompagnées aux percussions, ainsi que des éléments propres au Hebei bangzi de l’est du Hebei : naît alors l’opéra bengbeng (蹦蹦戏).

 

L’opéra bengbeng s’est très vite développé dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, avec une diversification en fonction des régions et de leurs divers dialectes. Des troupes commencèrent à sillonner les provinces, et des concours apparurent où s’affrontèrent les meilleurs artistes. L’opéra se scinda en trois styles principaux xiao, des pièces courtes apparurent, ainsi que les divisions en divers types de rôles, principalement sous l’influence du jingju (京剧), tandis que les thèmes se diversifiaient en englobant des histoires de la vie réelle, basées sur la tradition orale ou des faits divers plus récents.

 

C’est à partir de 1936, lorsque la célèbre Bai Yushuang (白玉霜), la « reine du pingju », interpréta le rôle principal dans le film « Red Begonia » (海棠红)  de Zhang Shichuan (张石川) que le nom de pingju fut définitivement adopté et

 

Bai Yushuang

commença à se répandre, avec l’opéra, dans tout le pays. Après 1949, des troupes furent installées dans diverses provinces.

 

Red Begonia

 

L’accompagnement musical est basé sur le banhu (板胡), comme principal instrument à corde, avec suonas, cors et flûtes de bambous pour les vents, le rythme étant donné par des cliquettes de jujube. Les paroles des mélodies sont composées de sentences parallèles. Si le pingju a repris une certaine stylisation des mouvements de l’opéra traditionnel, ceux-ci restent cependant beaucoup plus libres que dans beaucoup d’autres formes régionales de l’opéra chinois. L’opéra a conservé la

fraîcheur, la vitalité et la couleur propres à ses origines populaires.

 

Cheng Zhaocai (成兆才) en est le premier dramaturge. Né en 1874, il a commencé à 18 ans comme élève chanteur de lianhualao (莲花落), une forme de quyi dont il intégra des éléments dans le pingju : il est en effet l’un des principaux artistes qui ont contribué à la création de cet opéra au début du vingtième siècle. C’est lui qui est l’auteur de « La rose de Wouke ».

 

L’histoire

 

Le titre chinois Huā wéi méi (花为媒) signifie ‘la rose comme entremetteuse’.

 

Une jeune fille, Li Yue’e (李月娥), est amoureuse de son cousin Wang Junqing (王俊卿), qu’elle revoit après trois années de séparation à l’anniversaire du père du jeune garçon. Elle lui offre un mouchoir brodé et ils se promettent

 

Cheng Zhaocai

fidélité. Mais le père de Yue’e s’oppose à leur mariage. En effet, la mère Ruan (阮妈), une entremetteuse, compte marier Junqing à la jeune et ravissante Zhang Wuke (张五可) (1). Les deux familles sont d’accord,

Wuke également : lorsque Wang Junqing lui est présenté, elle lui offre une rose.

 

Mais celui-ci aime sa cousine et tombe malade de chagrin. Yue’e se désespère, Wuke est dépitée. Finalement, l’amour triomphera, mais Wuke trouvera dans un cousin de Wang Junqing l’homme de ses rêves. Le film se termine ainsi dans l’allégresse d’un double mariage.

 

Le réalisateur

 

Le réalisateur, Fang Ying (方荧), est peu connu. Il est né en 1921 dans le Guangdong et a d’abord commencé au cinéma comme acteur. En 1949, il entre au studio Nanqun (南群影业公司) (2), mais, comme beaucoup d’autres cinéastes ‘de gauche’ de Hong Kong,  revient en Chine continentale après la fondation de la République populaire. Il interprète des rôles secondaires dans trois films en 1949 et 1950.

 

 

Fang Ying

 

En marche vers la Chine nouvelle

 

En 1951, il entre au studio de Pékin, et commence une nouvelle carrière, derrière la caméra cette fois, comme assistant réalisateur de « En marche vers la Chine nouvelle » (《走向新中国》), huitième et dernier volet de l’immense projet cinématographique intitulé « Printemps et automnes des temps modernes » (《近代春秋》) retraçant les grands événements des années allant de la guerre de l’opium à la proclamation de la République par Mao Zedong.

 

Fang Ying réalise son premier film en 1956, « Ainsi tant d’amour » (《如此多情》), qui ressemble aux comédies de Hong Kong de la même époque. « La Rose de Wouke » (花为媒), en 1963, est l’un de ses films les plus réussis, mais le dernier film d’opéra traditionnel avant la Révolution culturelle.

 

En 1970, Fang Ying est transféré au studio de la rivière des Perles (珠影). En 1986, il entre au studio de Nankin où il réalise « Le Pavillon des Pivoines » (《牡丹亭》), autre adaptation d’opéra. C’est sa dernière réalisation. Il est décédé en mars 2011 à Canton.

 

Si Fang Ying n’est pas très connu, le scénariste du film, en revanche, est célèbre : c’est Wu Zuguang (吴祖光).

 

Le scénariste

 

Né en 1917 dans une famille de lettrés, après des études de littérature, Wu Zuguang a commencé sa carrière en 1937 comme professeur d’histoire de l’opéra chinois et dramaturge. En 1941, il devient scénariste et metteur en scène de théâtre. De retour à Shanghai en 1946, il est nommé responsable de la section littéraire du Xinmin wanbao (新民晚报). Obligé de fuir à Hong Kong en raison de l’interdiction d’une de ses pièces, il continue à écrire des scénarios, mais commence aussi à réaliser des films, pour deux studios.

 

Quand il rentre à Pékin à la Libération, il travaille au Bureau du cinéma. Son amour et sa connaissance de l’opéra en font un réalisateur idéal pour des documentaires sur l’opéra ou des adaptations. Il commence en 1955-56 par un documentaire sur Mei Lanfang en deux parties, réalisé avec

 

Wu Zuguang jeune

Cen Fan (岑范) : « L’art de Mei Lanfang » (梅兰芳的舞台艺术).

 

En 1956, il filme Mei Lanfang dans une de ses plus belles performances : « La déesse de la rivière Luo » (洛神賦), puis tourne une adaptation d’un opéra de Pékin, encore avec Cen Fan.

 

En 1957, il est condamné comme droitier et envoyé en camp de travail dans le Grand Nord. Quand il revient en 1960 à Pékin, il est chargé d’écrire des pièces de théâtre et des adaptations d’opéra. C’est dans ce cadre qu’il écrit « La rose de Wouke ».

 

C’est son texte, d’abord, qui fait la qualité du film. Poétique, il est émaillé d’allusions littéraires, mais dans un langage malgré tout accessible à tous, comme le voulaient les directives de l’époque. Il est superbement mis en valeur par la musique dont la mélodie est relativement simple et le chant très bien articulé, si bien que beaucoup de gens en connaissent par cœur (ou du moins connaissaient) les véritables poèmes chantés. Un maquillage et des costumes très naturels contribuent en outre à en faire du film une œuvre vivante et attrayante.

 

Il faut enfin souligner l’exceptionnelle qualité de l’interprétation, en particulier de l’actrice principale, dans le rôle de Wouke : Xin Fengxia (新凤霞).

 

L’actrice principale

 

Xin Fengxia (新凤霞) est la plus célèbre interprète d’opéra pingju de sa génération. Elle est pourtant née en 1932 dans une famille très pauvre de Tianjin. Elle a commencé dès l’âge de sept ans à apprendre le métier d’actrice, et révéla un tel talent que, à quatorze ans, elle jouait déjà les premiers rôles et était célèbre à dix-huit.

 

Elle épousa Wu Zuguang en 1951. Comme elle n’avait jamais pu aller à l’école et était illettrée, Wu Zuguang lui apprit à lire et écrire. Elle fréquenta les artistes et écrivains que

 

Wu Zuguang et Xin Fengxia

connaissait son époux, se découvrit une passion pour la peinture, et devint l’élève du grand peintre Qi Baishi.

 

Lorsque Wu Zuguang fut condamné comme droitier et envoyé en camp dans le grand Nord, Xin Fengxia resta seule à Pékin pour s’occuper de leurs trois enfants. Lorsque Wu Zuguang revint, en 1960, la famille connut quelques années de calme, jusqu’à la Révolution culturelle, et c’est pendant cette période de réunion et de bonheur paisible que se place la réalisation de « La Rose de Wouke ».

 

Une scène de La rose de Wouke

 

Par la suite, pendant la Révolution culturelle, Wu Zuguang et elle furent envoyés dans des « écoles de cadres »  différentes, et soumis à diverses persécutions. La santé de Fengxia en fut affectée : à la suite d’une erreur de diagnostic en 1975, elle est restée paralysée, incapable de remonter sur la scène et limitée à l’enseignement.

 

Pour utiliser ses plages de temps forcément libres dans ces conditions, son mari l’encouragea à écrire : elle nous a laissé en particulier un livre de mémoires qui a été traduit en anglais par

Gladys Yang qui la connaissait bien (3). Elle est morte en 1998.

 

Si ses mémoires sont un témoignage poignant sur la vie des comédiens en Chine avant et après 1949, le film « La Rose de Wouke » est, lui, un témoignage vivant sur l’art de cette artiste, avant qu’elle soit victime de l’absurdité d’une époque.

 


 
Le film « La rose de Wouke »

 

2. L’apogée d’un art

 

« La Rose de Wouke » montre bien la vitalité qu’avait encore un genre pourtant menacé, mais qui avait la faveur du public et avait bénéficié d’attentions particulières dès les débuts du régime communiste.

 

Un genre cinématographique très prisé

 

L’opéra, dans toutes ses variantes régionales, bénéficia dès l’année 1949 d’une attention particulière de la part du nouveau pouvoir qui y voyait un moyen particulièrement efficace de diffuser des messages, car ancré dans la tradition populaire et donc proche du peuple. Dès le 2 octobre 1949, le lendemain de la proclamation officielle de la République populaire, fut créé le Comité de réforme de l’opéra national (中华全国戏曲改革委员会) qui s’occupa aussitôt de la réorganisation des troupes et de la formation politique de leurs membres, tandis que certaines pièces étaient interdites.

 

Au moment du Grand Bond en avant, et, parallèlement, de la rupture avec les codes esthétiques empruntés aux soviétiques, l’opéra chinois retrouva une nouvelle importance dans le contexte de la modernisation à marche forcée du pays, en le modernisant lui-même. Les célébrations du 10ème anniversaire de la fondation de la République, le 1er octobre 1959, comportèrent des représentations de plusieurs opéras traditionnels révisés.

 

Les films d’opéras, quant à eux, bénéficièrent d’un travail de recherche particulier au début des années 1960, pendant le période de redressement et rajustement économique. Ainsi, pendant l’été 1962, les deux associations nationales de dramaturges et de cinéastes organisèrent un débat sur les moyens d’améliorer l’adaptation des différents opéras régionaux à l’écran, débat qui est à replacer dans le contexte de la directive fixant comme priorité d’offrir des films adaptés au public rural (4)

 

Depuis le « Liang Shanbo et Zhu Yingtai » (梁山伯与祝英台) de Sang Hu (桑弧), en 1954, une centaine de films d’opéra avaient été réalisés, adaptés d’une trentaine d’opéras régionaux différents. Certains de ces films avaient attiré plus cent millions de spectateurs : le genre était très prisé du public, et en particulier du public rural dont il reprenait la langue dialectale et une tradition orale millénaire. Témoin de ce regain d’intérêt, l’année 1962 fut ainsi marquée par trois films consacrés à des interprètes renommés, réalisés à partir du montage de leurs meilleures interprétations.

 

L’éventail aux fleurs de pêchers

 

Le choix de l’opéra pingju, vif, coloré, proche de la vie de tous les jours, pour tourner un film d’opéra en 1963 apparaît dans toute sa logique dans ce contexte.

 

Mais un genre menacé

 

La rose de Wouke portée en signe de deuil

aux funérailles de Wu Zuguang

 

Après « La Rose de Wouke », on tourna encore un film d’opéra, fin 1963. C’était au studio de Xi’an : « L’éventail aux fleurs de pêchers » (桃花扇), réalisé par Sun Jing (孙敬), avec la grande actrice Wang Danfeng (王丹凤) que le studio avait fait venir de Shanghai.

 

Mais la réforme de l’opéra traditionnel qui devait mener à l’élaboration des « opéras modèles » était déjà en cours. En juillet 1962, Jiang Qing avait fait remettre à Xia Yan (夏衍), vice-ministre de la culture, un

mémorandum attaquant les opéras traditionnels. Cela marquait le début de son offensive. Lorsque Xia Yan tomba, en mai 1965, plus rien ne s’opposait à la mise en œuvre du plan magistral de Jiang Qing (5).

 

Vu dans une perspective historique, « La Rose de Wouke » apparaît comme le pendant du film de Sang Hu (桑弧), « Liang Shanbo et Zhu Yingtai » (《梁山伯与祝英台》). L’un marquait le début d’une époque, l’autre la fin, la fin de ces dix-neuf années si mouvementées qui vont de la fondation de la République populaire à la Révolution culturelle. « La Rose de Wouke », par sa musique et ses dialogues, pétille d’allégresse : c’est l’opéra du bonheur de la réunion que célèbre un couple réuni, c’est le film d’une époque qui célèbre la joie de renaître après les dures années de folie productiviste et de famine, sans savoir que cette joie sera de courte durée…

 

 

Notes

(1) Wouke est la transcription forgée par Jacques Reclus qui est l’auteur des sous-titres du film, travail très littéraire, dans une langue recherchée, pour tenter de rendre la subtilité et la beauté de l’original. Il a choisi de transcrire Wouke pour le rendu sonore de ce nom en français. C’est assez réussi.

(2) Après la guerre, la situation en Chine étant instable, les cinéastes de Shanghai sont partis en masse à Hong Kong. En 1947, un groupe de réalisateurs ‘de gauche’ ont formé divers studios partageant les mêmes idées progressistes, dont la compagnie Nanqun (南群).

(3) “Reminiscences” de Xin Fengxia, Panda Books, 1981, avec une préface de la traductrice, Gladys Yang, et une postface de Wu Zuguang.

Sur Gladys Yang et son époux Yang Xianyi, voir :

http://www.chinese-shortstories.com/Traducteurs_et_editeurs_YangXianyi.htm

(4) Voir Repères historiques : 1949-1966, les « dix-neuf années »

(5) Voir la réforme de l’opéra dans Repères historiques : 1962-1976, les « opéras modèles »  

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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