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« Anima » de Cao Jinling : une première réussite qui fait attendre la suite

par Brigitte Duzan, 21 mai 2021

 

« Anima » (Moerdaoga莫尔道嘎) est le premier long métrage de la scénariste et réalisatrice Cao Jinling (曹金玲), terminé en 2020 après quatre ans de préparation et de tournage difficiles : c’est un film superbe tourné dans l’extrême nord-est de la Mongolie intérieure, dans les montagnes de Moerdaoga qui ont vu naître la réalisatrice. Le film a été présenté en avril 2021 en première mondiale à la 45ème édition du Hongkong International Film Festival où il a été primé. Il a aussi été le film de clôture du festival du cinéma chinois de Singapour, début mai 2021. Pour un premier film, c’est une réussite.

 

Entre drame familial et fable environnementale

 

Ecrit par Cao Jinling, le scénario retrace une histoire qui se passe dans les années 1990, celle de deux frères, Tutu (图图) et Linzi (林子), qui vivent au fin fond des forêts sauvages de Moerdaoga. Ils sont membres d’un groupe appartenant aux Evenks, les “Shilu” (使鹿鄂温克), dont l’existence est rythmée par les

 

Moerdaoga/Anima

saisons et conditionnée par les croyances ancestrales dans les esprits qui peuplent la forêt, où les arbres ont une âme et les ours sont sacrés. 

 

Or, un jour, le petit Linzi étant tombé dans la tanière d’une ourse, Tutu a tué l’ourse pour sauver son frère. Selon les rites et croyances de leur peuple, il est maudit, et sera poursuivi sa vie durant par l’esprit de l’ourse. On retrouve les deux frères plus tard ; ils sont devenus bûcherons et ont évolué différemment : le sensible Linzi vit en symbiose avec la forêt comme ses ancêtres tandis que le plus extroverti Tutu rejette la tradition et s’engage dans une équipe de durs à cuire venus couper les plus beaux arbres de la forêt pour empocher l’argent.

 

 

Cao Jinling au festival de Cannes

 

 

Lors d’une de ses randonnées au cœur de la forêt, Linzi se fait prendre le pied dans un piège, un piège à ours tendu par une jeune femme qui vient l’en dégager : une chasseuse à moitié sauvage qui vit seule dans la forêt. Ce personnage assez extraordinaire finit par s’attacher au timide Linzi qui la ramène au camp des bûcherons pour qu’elle y remplace le cuisinier reparti en ville. Elle suscite aussitôt la convoitise brutale de tous ces hommes, et en particulier de Tutu, ce qui accroît encore le fossé qui sépare les deux frères.

 

Linzi et la femme se retire pour vivre isolés dans une tente de fortune, ils ont une petite fille, la vie s’écoule doucement au fil des saisons…  jusqu’à ce qu’une catastrophe vienne comme sanctionner le saccage de la forêt. Le film se termine sur l’exode de ses derniers habitants quand le gouvernement décide de fermer la forêt et d’interdire le déboisement sauvage, faisant de toute la zone un parc national forestier. Seul reste Linzi.

 

 

L’équipe du film au début du tournage, en décembre 2018

 

 

Le film laisse une forte impression par sa charge émotive, qui est celle même de la réalisatrice, et qu’elle parvient à nous transmettre en grande partie grâce à la beauté des images et de la musique.

 

Une longue gestation

 

Témoignage d’un paradis perdu

 

Lors de la conférence de presse marquant le début du tournage, le 24 décembre 2018, Cao Jinling a déclaré [1] :

我从小在这里长大,但此前,我已经有17年没在冬天回到过故乡了。这几天莫尔道嘎正在下雪,每当雪花飘落之时,我总觉得它在天地间赋予了人与自然特别深情的联结。所以我想通过一个人和一棵树的故事、一些人和一片森林的故事,把莫尔道嘎这片神奇的土地展现给世人。

« J’ai grandi ici, mais cela faisait 17 ans que je n’y étais pas revenue en plein hiver. En ce moment, il neige à Moerdaoga, et quand il neige, j’ai toujours l’impression que cela crée, entre ciel et terre, une relation affective particulièrement étroite entre les hommes et la nature. Ce que je veux montrer, c’est le caractère magique de ce pays, à travers l’histoire d’un homme et d’un arbre, de quelques hommes et de la forêt. »

 

 

Une scène du tournage en hiver

 

 

Si, dans la langue des Evenks, Moerdaoga signifie « l’endroit où poussent les bouleaux blancs », en mongol, cela signifie « point de départ », a expliqué Cao Jinling dans une interview : c’est de ces montagnes situées dans la préfecture d’Hulunbuir, au nord de la chaîne des Grands Khingan, que serait parti Gengis Khan à la conquête du monde. C’est une région extrêmement froide, où les jours hors gel ne durent que trois mois, mais où les étés et les automnes sont d’autant plus beaux.

 

​​Son film dégage un sentiment d’émerveillement devant la beauté de cette nature vierge, en particulier en hiver, comme dans ses souvenirs d’enfance [2] :

 

对于孩子,冬天的森林一样是乐园,我们拿着大纸壳儿、塑料布上了山,到了山顶,垫在屁股底下就滑下来,经常控制不稳,整个扎进山脚下的雪堆里。跑几趟下来,浑身热气,形成白雾萦绕身旁。小伙伴们各拥自己的仙气儿上上下下,不亦乐乎……无论春夏秋冬、酷暑严寒,什么时候累了,就靠着大树休息,像靠着家里的长辈一样。

Pour nous, les enfants, la forêt en hiver était un vrai paradis. Nous montions en haut de la montagne en emportant des sortes de coques en papier ou des feuilles de plastique et, une fois arrivés en haut, nous nous laissions glisser sur le derrière. Nous n’étions pas très stables, et il nous arrivait souvent, en bout de course, de plonger dans la neige amassée au pied de la montagne. Après quelques remontées, on avait très chaud, et la chaleur de nos corps formait une vapeur blanche tout autour de nous. On avait tous notre « souffle magique » qui nous suivait dans nos montées et descentes ; c’était la joie. Quelle que soit la saison, été, automne ou hiver, dans la canicule ou le froid glacial, quand on était fatigué, on se reposait adossé au pied d’un grand arbre, comme on se serait à la maison appuyé contre un aïeul.

 

 

La forêt à l’automne

 

 

Ce sont ces souvenirs, et la nostalgie du passé, qui l’ont poussée à faire le film :

 

后来出去读书、工作,回莫尔道嘎的次数越来越少,每次来回,都要连续坐车几个小时穿过原始森林,拥挤、颠簸中看不清窗外的景色,只是感觉大块大块绿色离我远去,像是穿越长长的绿色时空通道,通道一边是我实实在在的当下,一边是我久久回望的乡愁。

Par la suite, quand je suis partie pour faire mes études et travailler, je suis revenue de moins en moins souvent à Modaoerga. Mais, à chacun de mes retours, il me fallait faire des heures en voiture à travers la forêt vierge. En raison de la densité des arbres et des secousses sur la route, je n’arrivais pas à bien voir le paysage à travers les vitres de la voiture ; j’avais juste le sentiment d’une immense étendue de verdure à l’infini, comme si je traversais un très long pan d’espace-temps aux extrémités duquel se trouvait d’un côté mon présent, la réalité, et de l’autre mon pays natal, il y a très longtemps, considéré d’un regard nostalgique.

 

Nostalgie, en effet, car la forêt n’est plus ce qu’elle était dans son enfance. On disait, dit-elle, qu’on voyait les arbres, pas la forêt ; aujourd’hui on voit bien la forêt, mais il n’y a plus d’arbres. On a replanté, et cela fait une végétation d’un vert luxuriant en été, mais les vieux arbres ont disparu, des arbres dont il fallait plusieurs enfants pour encercler le tronc. Les coupes sauvages des années 1980 et 1990 ont laissé leurs marques. Les animaux sont partis ailleurs. Puis il y a eu une grande inondation en 1998, une catastrophe qu’elle a utilisée dans son scénario et qui a fait prendre conscience de l’urgence environnementale. Un plan de protection naturelle a été mis en place, avec la création du parc naturel. Puis, en 2015, toute coupe d’arbre a été interdite.

 

 

L’abattage d’un arbre

 

 

Cet hiver-là, Cao Jinling est revenue à Modaoerga. Les derniers arbres coupés étaient là, comme des témoins de la folie passée. C’est alors que lui est venue l’idée d’en faire un film.

 

Du scénario à la réalisation

 

Après son doctorat sur l’esthétique de l’opéra chinois, cette année-là, Cao Jinling a travaillé comme scénariste. Il lui manquait une formation et une expérience pratiques de réalisation. Elle a donc démissionné de son poste pour, en 2016, aller suivre à l’université de Californie du Sud à Los Angeles un cursus d’études cinématographiques comprenant à la fois mise en scène, photographie et montage. C’est pendant cette année de formation qu’elle a commencé à écrire son scénario et qu’elle a bénéficié des conseils et de l’aide de ses professeurs.

 

Une réussite esthétique

 

Des fées sur le berceau

 

À partir de là, Cao Jinling est partie à la recherche de fonds. Le projet a été présenté dans divers festivals, à un moment où l‘ « industrie » du cinéma chinois était submergée de films romantiques et de comédies burlesques, et le marché envahi par les blockbusters. Le film arrivait comme un ovni. Mais sa fable écolo était aussi dans l’air du temps.

 

 

L’intérieur de l’abri des bûcherons

 

 

Le projet a été sélectionné par le ONE International Women's Film Festival (山一女性电影节并) et y a obtenu le seul prix de capital risque. Ensuite, au festival international de cinéma de Pékin, début 2018, il a fait partie des cinq projets retenus par le Fond cinématographique Wu Tianming pour jeunes talents – un fond on ne peut plus officiel créé en 2014 et financé par la Fondation China Film – ce qui lui a permis de participer l’Atelier de la Cinéfondation du festival de Cannes, en mai 2018.

 

Des maîtres de la photo, du montage et de la musique

 

Les fonds ainsi glanés ont permis à Cao Jingling de réunir une équipe des meilleurs spécialistes en matière de photographie, de montage et de musique.

 

Le premier pressenti a été le directeur de la photographie Mark Lee Ping-bin (李屏賓). Il était le chef opérateur du film de 2017 de Zhao Hantang (赵汉唐) « « Seventy-Seven Days » (《七十七天》) dont Cao Jinling était la scénariste. Le projet de « Moerdaoga » prévoyait de longues périodes de tournage dans la montagne, en plein hiver et sur une période d’un ou deux ans. Mark Lee Ping-bin a pourtant accepté. C’est sans doute le plus bel atout du film : la forêt filmée par lui, d’une saison à l’autre, souvent en survolant les arbres, aussi bien que l’intérieur de l’abri des bûcherons en plein hiver ont une aura quasiment magique qui sous-tend parfaitement le message de la réalisatrice.

 

La musique est signée d’un autre grand nom : celui de Lim Giong (林強). Pour « Moerdaoga », il a combiné des chants populaires evenks et de la musique interprétée sur l 'instrument traditionnel à cordes morin khuur, avec comme à son habitude de la musique contemporaine.

 

Il faut encore signaler deux autres proches de Hou Hsiao-hsien : le directeur du son Tu Duu-Chih (杜篤之) et le monteur Liao Qingsong (廖庆松). En outre, avant le tournage, Cao Jinling a consulté la dernière matriarche evenk, qui a aujourd’hui 99 ans, et sa fille a été consultante pour tout ce qui touche à la culture et aux coutumes des Evenks.

 

Quant aux acteurs, ils ne sont pas encore très connus. Remarquable dans son rôle de chasseresse sauvage est l’actrice Qi Xi (齐溪), face à Wang Chuanjun (王传君), l’un des acteurs de « Dying to Survive » (《我不是药神》) de Wen Muye (文牧野), inattendu succès médiatique de l’année 2018.

 

Un long tournage

 

Commencé le 30 décembre 2018, le tournage s’est déroulé en trois phases, sur deux ans, dans des conditions souvent très dures en raison des conditions climatiques dans cette région montagneuse quasiment à la frontière de la Sibérie : lors du tournage en hiver, le thermomètre est descendu à – 43°. Les acteurs ont dû vivre un mois sous la tente, comme les bûcherons, en mangeant avec eux.

 

Le film a été tourné en hiver, en été et en automne, chaque fois dans une nature et des couleurs différentes, passant du blanc de l’hiver au vert de l’été et aux ors chatoyants de l’automne.

 

Un film dans l’air du temps

 

Le film de Cao Jinling reflète son attachement à la forêt qui l’a vue naître, comme les personnages de son film, mais il correspond en même temps à une préoccupation croissante aujourd’hui pour la préservation de l’environnement, y compris en Chine où elle répond à l’ancienne pensée taoïste qui remonte au Zhuangzi :

天地与我并生,而万物与我为一

         Je vis avec le ciel et la terre et à mes côtés, et les dix mille êtres ne font qu’un avec moi. »

 

« Moerdaoga » illustre cet idéal de vie en harmonie avec la nature, mais on ne peut s’empêcher de penser à deux autres films sur ce même peuple des Evenks : « Aologuya, Aologuya » (《敖鲁古雅敖鲁古雅》) et « Le dernier élan d’Alologuya » (《犴达罕》) de Gu Tao (顾桃), filmés eux aussi dans les monts du Grand Khingan ; ce sont des documentaires de 2007 et 2013 qui montrent la sédentarisation forcée de ce peuple éleveurs de rennes qui, à partir de 2003, fut délogé de la forêt et privé de son mode de vie traditionnel. Gu Tao filmait le déclin d’un peuple ; Cao Jinling, elle, filme la beauté de la nature dont elle s’attache à montrer combien il est important de préserver les équilibres. Mais chez elle aussi, les hommes ont disparu de la forêt, à l’exception de Linzi. La forêt est devenue un vaste parc naturel.

 

Ce qu’on attend maintenant, avec curiosité, c’est la suite que Cao Jinling va donner à ce film. Moerdaoga, c’est « le point de départ »…

 

 

Bande annonce

 

 

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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