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Yang Yanjin 杨延晋

Né en 1945

Présentation

par Brigitte Duzan, 28 février 2019

 

Yang Yanjin est un cinéaste de la Quatrième Génération né en 1945 qui a commencé sa carrière en 1973 aux Studios de Shanghai ; il s’est illustré à la fin des années 1970 en réalisant deux premiers films au style très personnel qui révèlent un double héritage : celui du cinéma chinois traditionnel et l’influence du cinéma occidental.

 

Premiers films

 

Né à Ningdu, dans le Jiangxi (江西宁都), il a d’abord été acteur, après une formation à l’Institut d’art dramatique de Shanghai dont il est sorti en 1968.

 

Ses deux premiers films sont des exemples des recherches stylistiques menées à la fin des années 1970 par les jeunes réalisateurs de la quatrième génération, cinéastes que l’on a un peu oubliés mais qui ouvraient une voie différente de celle de la cinquième génération arrivée peu après.

 

Yang Yanjin (en 1979 dans

« Le sourire de l’homme tourmenté »)

  

Le sourire de l’homme tourmenté

 

Son premier film, coréalisé avec Deng Yimin () en 1979, « Le sourire de l’homme tourmenté » (《苦恼人的笑》) [1], est une vision critique de la vie pendant la Révolution culturelle, parallèle au mouvement de « littérature des cicatrices » (伤痕文学) [2].

 

Il raconte comment le journaliste Fu Bin (傅彬), à son retour de la campagne où il avait été envoyé travailler dans une ferme, se trouve impliqué dans une machination visant à discréditer des intellectuels que soutenait le

premier ministre Zhou Enlai. Fu Bin est chargé par le secrétaire du Parti de la ville d’écrire un article sur un excellent chirurgien réduit à être gardien, en défendant ceux qui le persécutent et l’humilient. Croyant naïvement en la l’intégrité du secrétaire, Fu Bin va le consulter et découvre qu’il est en fait le maître d’œuvre de toute l’histoire. Partagé entre sa conscience de journaliste et les pressions de sa femme et de ses collègues qui lui conseillent de ne pas prendre de risques, il vit un cauchemar, mais, encouragé par des lettres de lecteurs dénonçant le secrétaire, il décide de dévoiler la vérité. Il finit en prison. Ce n’est qu’après la chute de la Bande des Quatre qu’il est libéré et retrouve sa femme et ses enfants.

 

L’accent est mis sur la recherche de la vérité, et la nécessité de la dévoiler, ce qui était l’une des questions brûlantes qui se posait au Parti en 1978 : pour la vieille garde, tout ce que Mao avait dit était vérité ; Deng Xiaoping, lui, soutenait que la pensée de Mao Zedong n’était pas à prendre dans l’absolu, mais qu’il s’agissait de « rechercher la vérité dans les faits », donc prendre la pratique comme seule critère de vérité, en rejetant tout dogmatisme. C’est ce qu’il a réussi à imposer en établissant ainsi son autorité. Le film reflète ce contexte historique.

 

Interprété par Li Zhiyu (李志舆) et Pan Hong (潘虹) dans les rôles principaux, le film est aussi remarquable par sa forme, et l’utilisation poussée de techniques modernes [3] : travellings, zooms, ralentis, écrans multiples, séquences monochromatiques et effets de couleur. Yang Yanjin joue aussi sur l’espace du rêve dans des séquences oniriques.

 

L’utilisation de ces techniques modernes n’est pas vaine. Elle a pour objet de donner plus de profondeur et de complexité au personnage de Fu Bin, les ambiguïtés de la « vérité » étant symbolisées par la double face de Bouddha, visage souriant d’un côté grimaçant de l’autre. Mais, comme beaucoup de films de la période, « Le sourire de l’homme tourmenté » est aussi une histoire de famille au bord de la désintégration, la responsabilité en incombant à la Bande des Quatre, comme le suggère dans la première séquence l’image symbolique du rat qui provoque une dispute entre les époux. 

 

Le sourire de l’homme tourmenté

  

Le second film de Yang Yanjin, « La rue étroite » (《小街》), sorti deux ans plus tard, traite aussi de la représentation de la Révolution culturelle au cinéma, mais il le fait à partir d’un scénario en flashback et en miroir dans lequel un scénariste (interprété par Yang Yanjin lui-même) présente les grandes lignes d’un scénario à un réalisateur ; le scénario n’étant pas fini, ils discutent de la meilleure fin possible, un peu comme dans Rashomon de Kurosawa. Mais ils n’arrivent pas à trouver une fin satisfaisante, entre le dénouement tragique où l’héroïne meurt, la fin pessimiste où elle perd espoir, ou l’optimiste où les deux amoureux sont réunis. Finalement ils laissent le spectateur décider.

 

Cette structure narrative complexe tend à brouiller la distinction entre réel et fiction. C’est pourtant une histoire simple, comme l’a expliqué le réalisateur :

« J’ai connu moi-même cette « petite rue. Mon

 

La rue étroite

adolescence, mes premières années d’amour s’y sont brusquement perdues et ont disparu dans les intempéries. J’ai filmé ces images de soupirs et de larmes comme je les ai vécues. Je voulais décrire l’infime lueur d’espoir que j’ai gardées de ces années sombres, ainsi que l’ont toujours fait mes aînés. Alors j’ai déclenché le moteur de ma caméra pour filmer cette histoire, qui au fond ne mérite pas le nom d’histoire. » [4] 

 

En même temps, le scénario reprend l’idée d’identités floues des histoires classiques de jeunes filles prenant des habits masculins pour pouvoir aller passer les examens impériaux, dont la célèbre légende des amants-papillons [5].

 

A la fin des années 1960, un jeune conducteur d’ambulance, Xia (), fait la connaissance d’un jeune garçon qui devient son ami. Yu () est un garçon timide dont la mère, une musicienne qui a été persécutée au début de la Révolution culturelle, est très gravement malade. Xia l’emmène à la campagne pour l’aider à ramasser des herbes médicinales, et ce faisant découvre que c’est en fait une fille qui a eu les cheveux rasés par des Gardes rouges. Il tente de voler pour elle une perruque à une troupe d’opéra révolutionnaire, mais il est découvert et battu ; il en perd temporairement la vue et doit être hospitalisé. Quand il sort de l’hôpital, il revient chez Yu, mais elle n’est plus là. On ne saura pas ce qu’elle est devenue.

 

Yang Yanjin pose la narration comme une histoire réelle, contée par Xia. La Révolution culturelle est représentée par des séries de codes spécifiques des films de l’époque, mais en diminuant la dimension politique et en accentuant la dimension humaine où l’ambulance prend une signification symbolique, dans la course vers la nature, à la recherche des herbes salvatrices. Le film joue sur les oppositions, société/nature, jeunes/vieux et opposition entre sexes, avec inversion de valeurs visant à souligner les inversions de l’ordre naturel opérées par la Révolution culturelle. La dépolitisation au profit de l’humanisme apparaît comme une stratégie pour combattre l’idéologie de la Bande des Quatre, tellement inhumaine qu’elle en était arrivée à effacer la distinction entre genres.

 

Les souvenirs de Xia valent en soi comme symbolique des contradictions de la période, sans qu’il ait été besoin de rajouter la fiction de l’adaptation en film. Mais Yang Yanjin voulait une distanciation brechtienne visant à briser l’illusion et éviter de faire du film une « sérénade lyrique ». Le spectateur est empêché de se complaire dans la fiction, il est entraîné dans l’authenticité de la représentation de la vie. Ce qu’il voulait susciter chez le spectateur, ce n’était pas le regret, ou la tristesse, mais une pensée critique, sur le sens profond de la vie [6].

 

Le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs, au festival de Cannes, en mai1983 [7], et il est devenu un grand classique du début des années 1980.

 

La rue étroite

 

Autres films

 

De manière assez caractéristique, cependant, après 1983 (année marquée par un retour en force des conservateurs et la campagne « contre la pollution spirituelle »), Yang Yanjin a abandonné ce style original. Il est entré dans le cinéma commercial, et ses films n’ont guère plus qu’un intérêt historique, comme témoins d’une époque.

 

Tourné au studio du Henan en 1984, « Deux jeunes filles » (《两个少女》) est une sorte de comédie de mœurs, où l’une des deux protagonistes utilise ses charmes pour arnaquer un riche homme d’affaires, tandis

 

La fille et le voleur

que l’autre est au contraire trop naïve et se fait gruger. Le film donne l’impression d’une société où la pureté des sentiments est un souvenir du passé et où il vaut mieux apprendre à vivre dans ces conditions.

 

Chant de minuit

 

En 1985, c’est à nouveau au Studio de Shanghai que Yang Yanjin tourne « La fille et le voleur » (
《少女与小偷》), qui rappelle un titre de Rohmer. Mais c’est juste une histoire hautement morale de rédemption par l’amour d’un petit délinquant, finalement transformé en bon petit ouvrier.

 

La même année, « Le Chant de minuit » ou « The Phantom Lover » (《夜半歌声》) est une histoire de troupe de théâtre hantée par une histoire d’amour impossible. La référence ici est le chef-d’œuvre de 1937 de Ma-xu Weibang (马徐维邦) « Song at Midnight » (《夜半歌声》), et son anti-héros défiguré Song Danping (宋丹萍). Mais cela reste une référence lointaine.

 

 

Le Chant de minuit

 

En 1986, « La province T en 84 et 85 » (T省的84·85年》) est une histoire typique des difficultés de la réforme économique alors que les esprits ont du mal à s’émanciper des modèles maoïstes. Au début du printemps 1984, le directeur d’une usine de machines-outils doit rentabiliser l’entreprise, structurellement déficitaire, contre le comité du Parti ; il lui faut en appeler à la justice car il s’agit aussi de lutter contre la corruption et les détournements de fonds publics.

 

En 1989, après « Enfer et Paradis » (《地狱·天堂》), Yang Yanjin a réalisé une série télévisée en cinq épisodes, adaptée du roman éponyme de la romancière taïwanaise à succès Chiung Yao (琼瑶) : « Quelques couchers de soleil rouges » (《几度夕阳红》). Le clou de la série est la chanson de Deng Lijun (邓丽君) : « Un rêve au cœur » (《心里梦里》).

 

La province T en 84 et 85

 

La chanson, par Deng Lijun

 

Puis Yang Yanjin a épousé l’autre grande romancière taïwanaise Xuan Xiaofo (玄小佛) et vit maintenant à Taiwan après avoir fait ses adieux au cinéma.

 


 

Filmographie

 

1979 Le sourire de l’homme tourmenté 《苦恼人的笑》

1981 La rue étroite 《小街》

1984 Deux filles 《两个少女》

1985 La fille et le voleur 《少女与小偷》

1985 Chant de minuit 《夜半歌声》

1986 La province T en ’84 et ’85 T省的84·85年》

1989 Enfer et Paradis 《地狱·天堂》

1989 Quelques couchers de soleil rouges 《几度夕阳红》 – feuilleton télévisé.

 

 


 

[1] En anglais « Troubled Laughter ».

[3] Mouvement de recherche stylistique lancé par le fameux article de Zhang Nuanxin (张暖忻) et Li Tuo (李陀) sur la modernisation du langage cinématographique publié au début de 1979. Voir : http://www.chinesemovies.com.fr/Ressources_Zhang_Nuanxin_article.htm

[4] Source : les archives de la Quinzaine.

[5] C’est-à-dire l’histoire de Liang Shanbo et Zhu Yingtai, voir :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Sang_Hu_Liang_Shanbo.htm

[6] Pour une analyse de ces deux films, voir : Chinese Film, the State of the Art in the People’s Republic, ed. George Stephen Semsel, Praeger 1987, 3. Notes on the New Filmmakers, Ma Ning, pp. 65-72.

[7] Auparavant, le film a été diffusé à la télévision le 27 janvier 1983 dans le cadre de l’émission mensuelle Cinéma sans visa sur FR3, malheureusement disparue en 1986.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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