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Tian Zhuangzhuang 田壮壮

Présentation

par Brigitte Duzan, 4 octobre 2011, actualisé 27 janvier 2023

 

Tian Zhuangzhuang (田壮壮) est l’un des plus grands réalisateurs chinois du vingtième siècle auquel on ne rendra jamais suffisamment hommage.

 

Victime d’une censure absurde quasiment tout au long de sa carrière, il a quand même réussi à réaliser une œuvre remarquable dont émerge au moins un chef d’œuvre incontesté : « Le cerf volant bleu » (蓝风筝). On espère que pourra maintenant sortir sans trop tarder ce qui s’annonce comme un autre chef-d’œuvre : l’adaptation du « Roi des arbres » (《树王》) d’A Cheng (阿城).

 

Photographe par hasard

 

Tian Zhuangzhuang est né en 1952 à Pékin. Ce n’était pas une période très propice pour naître dans une famille d’artistes. Or il était le fils de deux acteurs de cinéma devenus chefs de studios : son père, Tian Fang (田方), avait été

 

Tian Zhuangzhuang (田壮壮)

un acteur célèbre dans les années 1930, avant de prendre la tête du Studio de Pékin après 1949 ; sa mère était l’actrice Yu Lan (于蓝), populaire dans les années 1950-1960, et chargée de la direction du Studio pékinois des films pour enfants (北京儿童电影制片厂) à sa création, le 1er juin 1981, jour des enfants en Chine.   

 

Tian Fang

 

Vu l’emploi du temps de ses parents, Tian Zhuangzhuang fut confié à sa grand-mère, mais eut une enfance relativement protégée et heureuse. La famille vivait dans un hutong à l’ouest de Pékin qui s’appelait toujours Baochan hutong, mais les caractères (qui signifiaient à l’origine ‘précieuse contemplation’ : 宝禅) avaient été changés après l’arrivée de Mao au pouvoir pour devenir ‘précieuse production’ (宝产). Le quartier était habité par nombre d’acteurs, réalisateurs et producteurs des studios de Pékin ; Tian Zhuangzhuang était en particulier voisin de Chen Kaige, et les deux enfants jouaient souvent ensemble dans le calme des petites allées.

 

Avant la Révolution culturelle, il a raconté [1] qu’il allait souvent jouer au studio de Pékin dont son père était directeur. Il y allait avec lui les samedis, dans sa voiture de fonction. Il restait avec le chauffeur et les employés qui l’emmenaient parfois assister à un tournage. Son père étant

également le directeur adjoint du Bureau du cinéma, il allait aussi parfois avec lui aux projections de films pour la censure, essentiellement des films importés, en majorité russes. Mais ces films étaient très longs, et il n’y comprenait rien. A la fin d’une de ces projections interminables, il fut pris de vomissements et il en garda une franche aversion pour le cinéma qui dura jusqu’à la Révolution culturelle : ce n’est que lorsqu’il eut l’occasion d’assister à des projections en plein air avec sa brigade de production après être parti dans le Grand Nord qu’il retrouva un certain plaisir à regarder des films. 

 

La Révolution culturelle fut catastrophique pour les deux familles et leurs amis, classés « membres du gang noir de la littérature et des arts ». Le premier à être arrêté fut le scénariste Hai Mo (海默), qui se suicida le 16 mai 1968. Les parents de Tian Zhuangzhuang furent à leur tour violemment attaqués. Son père devait se suicider quelques années plus tard, en 1974. Lui-même partit en 1968 dans un petit village près de Jilin (吉林), dans la province du même nom, à l’extrême nord-est de la Chine.

 

Il n’avait alors aucune intention de se lancer dans une carrière cinématographique comme ses parents, les temps ne s’y prêtaient guère, mais le sort en décida autrement. Pour échapper au travail des champs, il s’engagea dans l’Armée de Libération, et fut transféré à Baoding (保定), dans le Hebei, affecté au département de la propagande.

 

Yu Lan actrice

 

Il n’avait cependant pas l’intention d’être soldat toute sa vie. Ce n’est cependant qu’au bout de trois ans dans l’armée qu’il fit une rencontre qui l’orienta différemment. Sa mère connaissait un écrivain qui travaillait pour un journal de l’armée et lui demanda s’il aurait une idée pour que son fils puisse apprendre un métier. Il envoya le jeune Tian Zhuangzhuang voir un ancien soldat, photographe de l’armée qui avait commencé à faire des photos pendant la guerre de Corée, Zhang Wenbo. Tian Zhuangzhuang se forma à la photo avec lui, mais sans devenir un passionné ; son travail consistait surtout à photographier les soldats en train de lire les citations du président Mao et à expliquer comment ils les mettaient en pratique, devenant des soldats modèles.

 

Tian Zhuangzhuang travailla ainsi cinq ans comme photographe. A son retour à Pékin en 1976, il obtint alors un poste d’assistant cameraman au Studio du film agricole de Pékin et acquit là une première expérience pratique de la réalisation cinématographique.

 

Premiers pas derrière la caméra

 

Heroic sons and daughters

 

En 1978, Deng Xiaoping décida de réouvrir les universités qui avaient été fermées pendant la Révolution culturelle et organisa le premier concours d’entrée depuis une dizaine d’années ; en mai, l’Académie du cinéma de Pékin (北京电影学院) fit de même, et dans la même effervescence. Tian Zhuangzhuang fut admis, mais dans le département de mise en scène et non de photographie. En effet, Tian Zhuangzhuang avait alors 24 ans et la limite d’âge pour les candidatures était de 23 ans, sauf pour la mise en scène où elle était de 25 ans [2].

 

Pour la petite histoire, l’examen, cette année-là, comportait l’analyse du film « Heroic Sons and Daughters » (英雄儿女), film de 1964 de Wu Zhaodi (武兆堤) sur la guerre de Corée, dans lequel son père interprétait l’un des rôles principaux. Tian Zhuangzhuang remit sa copie au bout d’une demi-heure et sortit pour fumer une cigarette en attendant

son ami Chen Kaige qui continuait à écrire fiévreusement comme les autres candidats [3].

 

A l’Académie, il étudia tout spécialement le scénario et le montage, et comme il avait déjà une expérience du tournage (photo et éclairage), il devint vite un élément moteur de ce qui devint la promotion 1982, la première après la Révolution culturelle, et future ‘cinquième génération’. Il constitua autour de lui un groupe de jeunes partageant les mêmes idées, le même style simple et naturel, au cinéma comme dans la vie.

 

Tian Zhuangzhuang était l’opposé de Chen Kaige, considéré comme l’intellectuel de la promotion. Il était un fervent admirateur du ‘vétéran’ Shui Hua (水华), auteur, entre autres, des deux grands classiques des années 1959-60 : « La boutique de la famille Lin » (林家铺子) et « Une famille révolutionnaire » (革命家庭) dans lesquels avait joué Yu Lan. Comme les autres, Tian Zhuangzhuang voulait évidemment innover, mais sans rupture totale avec le passé : il a servi de lien avec les générations précédentes, mais surtout la troisième, celle de Shui Hua et de ses parents. Son « Cerf volant bleu » affiche d’ailleurs des similarités de composition, de style narratif et de rythme avec les films de Shui Hua.

 

C’est pendant l’été 1980 que Tian Zhuangzhuang tourna le premier court métrage de la 5ème génération, avec deux de ses camarades, Xie Xiaojing (谢小静) et

 

Shui Hua

Cui Xiaoqin (崔小芹). On leur confia en effet la mission de réaliser un court métrage afin de tester du nouveau matériel vidéo qui venait d’arriver, du matériel Sony. C’était une occasion inespérée. 

 

Yu Lan dans La boutique de la famille Lin

 

Ils trouvèrent l’idée du scénario dans une nouvelle qui avait paru dans le journal des étudiants de l’université de Pékin : « Un coin sans soleil » (《没有太阳的角落》) d’un auteur du nom de Shi Tiesheng (史铁生). La nouvelle raconte l’histoire de trois jeunes handicapés qui peignent des motifs de fleurs sur des reproductions d’anciens objets de laque dans un petit atelier d’une vieille allée de Pékin ; leur vie

terne est soudain transformée par l’arrivée inopinée d’une jeune fille qui leur apporte une lueur de vie et d’affection, mais le verdict de son père médecin est terrible : leur infirmité est incurable. A la fin, elle sera la seule à pouvoir s’inscrire à l’examen d’entrée à l’université, en 1978, et réussira grâce à l’aide des trois autres… 

 

Les trois étudiants réalisateurs décidèrent de rencontrer l’auteur et découvrirent un jeune homme lui-même handicapé, condamné à un fauteuil roulant [4]. Pendant tout l’été, ils vinrent le chercher pour l’emmener non loin de chez lui, chez l’un de leurs professeurs, pour élaborer ensemble le scénario. Après huit révisions, le script fut enfin accepté, sous le titre « Un coin à nous » (《我们的角落》). Le court métrage fut ensuite adapté en film télévisé, et, bien qu’il n’ait pas été diffusé, les censeurs l’ayant jugé trop déprimant et d’un ton trop négatif, il eut un profond impact dans le milieu de l’Académie.

 

Pendant le printemps et l’été 1981, ensuite, Tian Zhuangzhuang réalisa avec une petite équipe son second court métrage : un film en noir et blanc d’après une nouvelle semi-autobiographique de Wang Anyi (王安忆) : « Notre petite cour » (《我们的小院》) [5]. La cour en question est celle d’une troupe de théâtre pendant la Révolution culturelle, et la nouvelle décrit les petits différends de leur vie quotidienne. C’est une nouvelle très courte, mais dont l’adaptation demandait une douzaine d’acteurs.

 

Parmi ceux-ci figurait le réalisateur Zhang Jianya (张建亚) qui collaborait aussi au tournage avec Xie Xiaojing (谢小静) tandis que l’équipe de photo comprenait, outre Zhang Yimou (张艺谋), Hou Yong (侯咏) et Lü Yue (吕乐) qui restèrent de grands amis de Tian Zhuangzhuang. L’équipe se retrouvera en 1982 pour tourner son premier long métrage, « L’éléphant rouge » (红象).

 

Echecs commerciaux et premières critiques

 

1. C’est sa mère, Yu Lan, qui demanda à Tian Zhuangzhuang de tourner « L’éléphant rouge » pour le Studio du film pour enfants qu’elle dirigeait. Le scénario était déjà prêt : c’était l’histoire de trois enfants à la recherche d’un éléphant sacré dans les forêts de Xishuangbanna, dans le Yunnan. Le budget était minime, et le tournage s’annonçait dans des conditions difficiles, en pleine forêt. Tout le monde n’était pas prêt à le faire.

 

Pendant l’été 1981, pendant que leur dernier court métrage était en post-production, Tian Zhuangzhuang et Zhang Jianya partirent au Yunnan avec 500 yuans en poche pour faire du repérage tout en travaillant sur le scénario. Ils empruntèrent des bicyclettes, couvrant quinze à vingt kilomètres par jour. Ils revinrent ensuite à la fin de l’automne pour tourner le film

 

L’éléphant rouge

 

Zhang Jianya (à g.), Hou Yong (milieu)

et Feng Xiaoning (à d.) sur le tournage

de L’éléphant rouge

avec l’équipe de « Notre petite cour », plus Feng Xiaoning (冯小宁) comme directeur artistique.

 

2. Tian Zhuangzhuang tourna ensuite un film pour la télévision, puis, en 1984, un film pour le studio de Kunming : « September » (九月). C’est, dans les dix-sept premières années de la République populaire, le portrait d’une jeune enseignante que ses méthodes d’enseignement et son ton humaniste mènent à une confrontation avec les autorités. Le scénario était l’œuvre du jeune scénariste Yan Tingting (严亭亭), qui, après avoir vu « L’éléphant rouge », l’avait envoyé à Tian Zhuangzhuang, lequel était alors sur le tournage de « Border Town » (边城), comme assistant du réalisateur, Ling Zifeng (凌子风).

 

Tian Zhuangzhuang fut conquis par la première partie du scénario, mais modifia la seconde partie qui était une apologie du régime communiste. Mais les scènes rajoutées par le réalisateur furent ensuite coupées au montage, dénaturant son œuvre. Les critiques dont il fut alors l’objet sont une préfiguration de celles dont il fut la cible avec ses deux films suivants : « On the Hunting Ground » (猎场扎撒) en 1985 et « Le voleur de chevaux » (盗马贼) en 1986.

 

Ces deux films représentent un tournant majeur dans la carrière de Tian Zhuangzhuang, un changement radical de style et de modèle cinématographique qui fut le résultat direct d’une Conférence internationale sur le cinéma organisée à Pékin en 1984 par deux cinéastes sino-américains de Hong Kong, Shirley Sun et Peter Wang. L’événement dura quinze jours, avec des invités de marque, dont Martin Scorsese et Shohei Imamura qui avait amené « La Ballade de Narayama » sorti l’année précédente.

 

Tian Zhuangzhuang en sortit plus que jamais convaincu de la force visuelle du cinéma, et de sa capacité à transmettre une atmosphère, un état d’âme, sans être interrompu par les dialogues, et sans avoir à raconter une histoire in extenso.

 

3. « On the Hunting Ground » fut réalisé à l’invitation du Studio de Mongolie intérieure. Tian Zhuangzhuang alla vivre un mois avec les pasteurs mongols en préparation du film, après quoi il révisa le scénario qui lui avait été remis et qui comportait une intrigue complexe sur les thèmes de la domination masculine et de la jalousie. Dans le film ne reste qu’un élément thématique : celui de la transgression des codes de chasse ancestraux des Mongols par un chasseur, et son châtiment ultérieur.

 

Le film a un caractère semi documentaire,

 

On the Hunting Ground

 l’alternance de paix et de violence, la cohabitation de l’homme et des animaux reflétant la dualité et les forces contradictoires de la société mongole, où la loi traditionnelle est l’élément structurant fondamental. Les Mongols qui avaient participé au tournage trouvèrent que le film rendait parfaitement la réalité de la vie mongole, mais les dirigeants du Studio, eux, estimèrent qu’il accentuait trop la pauvreté de la population.
 

Le voleur de chevaux

 

« Le voleur de chevaux », quant à lui, explore la relation des hommes à la religion dans la société tibétaine à travers le conflit intérieur que vit un homme, Norbu, qui vole des chevaux pour vivre tout en étant un bouddhiste fervent. Il finit par être exclus du clan avec sa famille le jour où il vole un cadeau du gouvernement au monastère local. Peu de temps plus tard, son fils meurt, et cette mort est considérée comme un châtiment divin. Norbu et sa femme se font alors nomades et parcourent les festivals bouddhistes.

 

« Le voleur de chevaux » est en cinémascope ; les dialogues sont réduits au minimum, toute la force du film est dans l’image, la lumière et la couleur plus le son. La beauté du paysage est transcendée en beauté spirituelle, et les cérémonies bouddhistes atteignent une solennité, une dignité presque surréelles.   

 

Les deux films furent très mal reçus par les autorités chinoises. Non seulement leur forme elliptique, à l’intrigue minimale tout comme les dialogues, déroutèrent les critiques tout autant que le public, mais en plus le film démasquait la propagande officielle qui louait le développement et la modernisation des minorités nationales. « Le voleur de chevaux » mit huit mois à passer la censure, et pour une diffusion limitée, après suppression de deux séquences d’enterrements célestes. Le film dut aussi préciser une date, l’année 1923, c’est-à-dire bien avant l’entrée au Tibet de l’Armée populaire de Libération, en 1950, et ce afin d’expliquer la pauvreté et la mentalité primitive de la population qui y sont exposées.

 

Norbu

 

A cause de leur caractère avant-gardiste, les deux films, considérés comme expérimentaux, furent des échecs et critiqués comme élitistes. Tian Zhuangzhuang essaya pourtant de présenter son film au festival de Cannes en 1984, tandis que Zhang Yimou faisait de même avec « La terre jaune ». Etant sur cassettes, les deux films furent négligés. Ce n’est qu’en 1987

que « On the Hunting Ground » fut projeté au festival de Rotterdam, mais les dialogues en tibétain avaient été doublés en chinois, avec sous-titres anglais, faisant du film un avatar de plus de la production chinoise habituelle en ce domaine, encore aujourd’hui classée « films de minorités ethniques » (少数民族电影).  

 

Le réalisateur était devenu célèbre à la suite d’une interview donnée en septembre 1986 à la revue Cinéma populaire (大众电影) : au journaliste qui lui opposait le peu de succès rencontré par « Le voleur de chevaux », il avait répondu que ce film était fait, en réalité, pour le siècle suivant – sur quoi un fonctionnaire du Bureau du film lui avait rétorqué qu’il devrait attendre ce moment-là aussi pour toucher son salaire.

 

4. Tian Zhuangzhuang continua alors, les trois années suivantes, avec une série de trois films moins ouverts à controverse : « Street Players » ou « Les joueurs de tambour » (鼓书艺人), d’après une pièce de Lao She, « Rock’n Roll Kids » (摇滚青年), sorte de musical rock, et « La salle d’opération spéciale » (特别手术室). Il a par la suite désavoué ces films.

 

Après les événements de la place Tian’anmen, en 1989, Tian Zhuangzhuang fut le seul représentant du cinéma chinois à figurer parmi les trente trois personnes à signer une lettre ouverte demandant la libération des prisonniers politiques.

 

Rock’n Roll Kids

  

Dans l’atmosphère de chasse aux sorcières et censure renforcée qui s’ensuivirent, il tourna un film "historique en costume" : « L’eunuque impérial Li Lianying » (大太监李莲英), qui obtint une mention spéciale au festival de Berlin en 1991.

 

Mais il allait affronter les foudres des autorités avec son film suivant : « Le cerf-volant bleu » (蓝风筝), présenté à Cannes en 1993 et grand prix du festival de Tokyo la même année, malgré le boycott de la délégation chinoise qui voulait protester contre le fait que le film n’avait pas reçu l’aval des autorités.


Le cerf-volant bleu et ses conséquences

 

1. « Le cerf-volant bleu » est l’histoire des malheurs subis par une famille pendant les diverses périodes de répression politique des années 1953-1967. C’est certainement le film le plus personnel de Tian Zhuangzhuang, celui qui reflète ses souvenirs d’enfance, ceux de sa famille et de ses amis, un chef d’œuvre.

 

Co-produit par un studio de Hong Kong et le Studio de Pékin, il commença par un rejet du scénario par les autorités de censure. En 1992, le tournage terminé, Tian Zhuangzhuang se vit ensuite interdire d’envoyer le film en post-production au Japon, comme c’était prévu ; en fait, le Studio de Pékin n’osa même pas demander l’autorisation. C’est finalement lorsque, un an plus tard, le distributeur néerlandais Fortissimo Film Sales acquit les droits de distribution mondiaux que le film put être passé en fraude à l’étranger par des amis et monté, selon le scénario et les indications de Tian Zhuangzhuang, mais en son absence.

 

Le cerf volant bleu

 

Il a expliqué par la suite qu’il avait réalisé le film sachant que cela lui vaudrait beaucoup d’ennuis, mais qu’il fallait qu’il le fasse « pour se libérer de l’obsession d’avoir à le faire ».

 

2. En mars 1994, en raison de la controverse qu’il déclencha, Tian Zhuangzhuang démissionna du Studio de Pékin. Un mois plus tard, en avril, il fut l’un des six cinéastes figurant sur une liste noire établie par le gouvernement, aux côtés des figures montantes de la sixième génération : les réalisateurs Wang Xiaoshuai (王小帅), He Jianjun (何建军) et Zhang Yuan (张元), son épouse, la scénariste Ning Dai (宁岱), ainsi que le documentariste Wu Wenguang (吴文光).

 

3. L’interdiction fut officiellement levée en 1996, mais Tian Zhuangzhuang dut encore attendre plusieurs années pour pouvoir recommencer à tourner. Dans l’intervalle, il se tourna vers la production, devenant le mentor de jeunes réalisateurs auxquels il permit de finaliser leurs projets. Il produisit « The Winner » (《赢家》), premier film de Huo Jianqi (霍建起) qui avait été son directeur artistique pour « September » et « Le voleur de chevaux », puis des œuvres marquantes de la sixième génération dont il contribua à faire connaître les auteurs : « The Making of Steel » (《长大成人》) de Lu Xuechang  (路学长) et « So Close to Paradise » (《扁担·姑娘》) de Wang Xiaoshuai.

 

Il continue ce travail de parrain encore aujourd’hui ; dans les années 2000, il a pris sous son aile et fait découvrir, entre autres, Ma Liwen (马俪文) et Ning Hao (宁浩).

 

Retour derrière la caméra

 

C’est après un hiatus de près de dix ans que Tian Zhuangzhuang a finalement repris la caméra, pour livrer en 2002 un remake éponyme du chef d’œuvre de 1948 de Fei Mu (费穆) : « Printemps dans une petite ville » (小城之春》). Ce film est une œuvre d’une beauté sereine et d’un grand humanisme, un huis clos où affleure, sous une méditation nostalgique sur le passé, toute une symbolique critique plus profonde qu’il n’y paraît.

 

En 2004 ensuite, Tian Zhuangzhuang est revenu à l’un de ses thèmes favoris avec « Delamu » (茶马古道:德拉姆), un

 

Printemps dans une petite ville

documentaire de toute beauté et injustement méconnu, réalisé (en HD) au Yunnan, sur l’ancienne route des caravanes du thé.

 

Delamu

 

« Delamu » fut suivi en 2006 par « The Go Master » (吴清源), portrait d’un lyrisme retenu et d’une esthétique sobre de Go Seigen : joueur  de go légendaire d’origine chinoise, qui s’appelait Wu Qingyuan (吴清源), mais est internationalement connu sous le nom japonais qu’il prit après avoir été naturalisé. Le film retrace le parcours de ce penseur révolutionnaire de la stratégie du go, qui fut aussi un homme déchiré par le conflit entre son pays natal et son pays d’adoption.

 

Enfin, le dernier film à cette heure de Tian Zhuangzhuang est un film épique sur fond d’histoire, sorti en 2009 : « The Warrior and the Wolf » (狼灾记). Filmé dans le Xinjiang et adapté d’une nouvelle d’Inoue Yasushi il reprend une ancienne légende locale. Mais il semble une erreur de parcours dans la filmographie d’un réalisateur qui n’en a guère d’autre à son actif… oublions le.

 

Gardons l’image d’un cinéaste brillant, l’un des plus brillants de la deuxième moitié du vingtième siècle en Chine, qui ne s’est pas contenté de filmer lui-même, avec exigence autant que talent, mais qui a contribué, quand lui-même fut interdit, à aider d’autres jeunes cinéastes autour de lui à réaliser leurs œuvres et à se faire connaître.

 

En 2019, cependant, il est revenu derrière la caméra, pour tourner un film qu’il méditait depuis quinze ans. 

 

2019 : adaptation du « Roi des arbres »

 

Ce film est l’adaptation du troisième volet de la célèbre trilogie des Rois d’A Cheng (阿城parue en 1985 : « Le Roi des arbres » (《树王》). Les deux autres volets ont déjà fait l’objet d’adaptations très réussies au cinéma : « Le roi des enfants » (《孩子王》) par Chen Kaige (陈凯歌) en 1987 et « Le roi des échecs » (《棋王》) par Teng Wenji (滕文骥) en 1988. 

 

Le film a été annoncé en octobre 2018, avec un titre différent, « Cry of the Birds » (鸟鸣嘤嘤), le titre chinois étant tiré du premier vers d’un poème du Livre des Odes, le Shijing (《诗经》).

 

Le tournage a débuté fin août 2019 et, achevé en 2020, le film a été soumis au Bureau du cinéma pour l’obtention du visa de censure. En même temps est sortie une affiche promotionnelle. Et puis… plus rien. En août 2022, à l’occasion du prix Chaplin qui a été décerné au réalisateur pour l’ensemble de sa carrière [6], est sorti un documentaire sur Tian Zhuangzhuang basé sur une interview du cinéaste pour la revue Tatler : « Le cinéma et moi » (《我和电影的关系》).

 

The Go Master

 

Cry of the Birds

 

Le documentaire《我和电影的关系》 https://www.bilibili.com/video/BV1MG41187UH/

 

Dans ce documentaire, Tian Zhuangzhuang parle du silence dans lequel est tombé son film :

电影拍完了两年了,送到电影局里到现在没有任何审查意见,作为同行的尊重来讲,我能接受任何的一个审查的结果。但是我确实不能接受一个我送给你两年多,你连一句话都没跟我说的结果,这个确实让我,再一次对电影,失望。我也不知道,应该怎么样才能够到找到一个结果

 

Cela fait deux ans que j’ai fini le tournage du film et que, l’ayant envoyé au Bureau de la censure, je n’en ai aucune nouvelle. S’agissant de mes collègues, j’accepte volontiers leurs critiques. Mais, dans le cas présent, ce silence total de deux ans, sans le moindre mot, ne peut encore une fois que me faire désespérer du cinéma. Je ne sais même pas que penser.

 

En fait, on lui a bien sûr demandé des modifications qu’il ne pouvait faire :

送到电影局备案的时候,电影局一处的处长给我说,我现在告诉你,你把这个天葬这地儿剪掉这地儿剪掉...,他全部要剪掉;我说这已经是标准拷贝了,再剪声音就接不上了,底片是不能还原的。他说这是必须,否则这部电影是不可以通过的。 最后走的时候,我撩了一句话:我怎么觉得你这儿挺像天葬台的

Quand j’ai envoyé le film au Bureau du cinéma, le directeur de la première division m’a dit : il faut que tu coupes la séquence des funérailles célestes, la séquence entière. Je lui ai dit que c’était déjà la copie finale, que si je devais couper une séquence, le son ne serait plus synchrone et que  je ne pourrais pas revenir à la copie d’origine. Mais il a dit que c’était nécessaire si je voulais que le film sorte. Finalement en m’en allant, j’ai plaisanté : « Ce bureau me donne l’impression d’un autel de funérailles célestes, je me demande bien pourquoi ».

 

Pourra-t-on voir le film un jour ? Il est à craindre que, même si cela arrive, Tian Zhuangzhuang, lui, ne soit plus là pour s’en réjouir. C’est toute sa carrière qui a été absurdement  ruinée par une interdiction puis une autre. Que de talent irrémédiablement gâché !

 


 

Filmographie

(hors télévision)  

 

1980 Our Corner / Un coin à nous 《我们的角落》

         court métrage coréalisé avec Xie Xiaojing 谢小静 et Cui Xiaoqiu 崔小芹

1980 The Courtyard / Notre petite cour 《我们的小院》

         court métrage coréalisé avec Yang Jianya 张建亚 et Xie Xiaojing 谢小静

1981 Red Elephant 红象 coréalisé avec Yang Jianya 张建亚 / Xie Xiaojing 谢小静

1984 September 九月

1985 On the Hunting Ground  猎场扎撒

1986 Horse Thief / Le voleur de chevaux盗马贼

1987 Folk Artists / The Street Players  鼓书艺人

1988 Rock’n Roll Kids 摇滚青年

1989 Illegal Lives / La sale d’opérations spéciales 特别手术室

1990 Imperial Eunuch Li Lianying / L’eunuque impérial Li Lianying » (大太监李莲英

1993 The Blue Kite / Le cerf-volant bleu 蓝风筝

2002 Spingtime in a Small Town / Printemps dans une petite ville 《小城之春》

2004 Delamu 茶马古道:德拉姆 documentaire

2005 The Go Master 吴清源

2009 The Warrior and the Wolf 狼灾记

En attente :  Cry of the Birds 鸟鸣嘤嘤

 


 

Bibliographie

 

Tian Zhuangzhuang : Stealing Horses and Flying Kites, in Speaking in Images, Michael Berry, Columbia University Press 2004, pp. 51-86.

 


 


[1] Dans un entretien avec Michael Berry, voir : Speaking in Images, chap. Tian Zhuangzhuang, p. 53.

[2] Zhang Yimou a rencontré le même problème, et pire car il avait même dépassé les 25 ans. Mais il avait déjà une œuvre photographique pour appuyer sa candidature.

[3] D’après “Memoirs from the Beijing Film Academy” de Ni Zhen, traduction Chris Berry, Duke University Press, 2002, p. 12.

[6] Prix récompensant des réalisateurs asiatiques pour leur réussites artistiques (卓别林亚洲电影人士艺术成就大奖).

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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