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Hou Hsiao-Hsien /Hóu Xiàoxián 侯孝贤

Présentation

par Brigitte Duzan, 13 août 2012, actualisé 16 septembre 2016

 

Aujourd’hui salué comme un grand maître du cinéma taiwanais, et du cinéma tout court, Hou Hsiao-hsien a été l’un des chefs de file les plus importants du mouvement du Nouveau Cinéma taiwanais, au début des années 1980.

 

Exil et quatre cents coups

 

Hou Hsiao-hsien (侯孝贤) est né en 1947 à Meixian (梅县), dans le Nord-Est du Guangdong, région de population

 

Hou Hsiao Hsien

majoritairement hakka, à laquelle appartenait sa famille.

 

Mauvais élève mais cinéphile en herbe

 

Officier du Guomingdang, son père fut envoyé à Taiwan en 1948. C’est donc là que s’établit la famille et que Hou Hsiao-hsien a grandi, non pas à Taipei, mais dans une petite ville du sud de l’île : Fengshan (凤山), aujourd’hui ville satellite de Kaohsiung (高雄).

 

Il a raconté dans divers entretiens (1) qu’il était loin d’être un bon élève et faisait constamment les quatre cents coups. Il cherchait en particulier tous les moyens possibles pour entrer en fraude dans les cinémas à côté de chez lui.

 

Le camélia aux cinq pétales

 

Quand il était enfant, les cinémas de Taiwan permettaient d’entrer sans payer regarder les cinq dernières minutes des films, sorte d’opération promotionnelle appelée « voir la fin des séances » (见戏尾).  Puis, quand il fut collégien, il multiplia les ruses pour entrer gratis : en passant par-dessus le mur d’enceinte ou en récupérant des vieux billets pas trop déchirés.

 

Cela lui permit de voir un grand nombre des films en vogue à l’époque à Taiwan : films d’arts martiaux de Hong Kong et films japonais, surtout des films de suspense et d’horreur. L’un de ceux qui l’ont marqué est le grand classique de 1964 de Nomura Yoshitaro, « Le camélia à cinq pétales » (五辧の椿 goben no tsubaki), une histoire de meurtres en série signés par une fleur de camélia, avec la jeune Iwahita Shima qui avait alors dans les seize ou dix-sept ans.

 

Conscrit puis étudiant

 

Après le lycée, il a fait son service militaire obligatoire, et continué sa cure cinématographique pendant ses permissions. A la fin de son service, ses parents et sa grand-mère étant morts pendant ce temps, il est allé à Taipei préparer les examens d’entrée à l’université en faisant des petits boulots. Comme il n’y avait pas à l’époque d’école du cinéma, il est entré à l’Université nationale des Beaux Arts de Taiwan (国立台湾艺术大学), dans le département théâtre et cinéma.

 

Il en est sorti en 1972. Mais, comme il était

 

Lee Hsing à la fin des années 1970

difficile de trouver d’emblée du travail dans le cinéma, il a commencé comme vendeur de calculatrices. Au bout de huit mois, cependant, il a décroché un job d’assistant réalisateur….. c’était en 1973, il avait 26 ans.

 

Débuts de cinéaste : assistant et scénariste

 

Comédies populaires

 

A Heart with a Million Knots

 

Le réalisateur était Li Hsing (李行), l’un des principaux réalisateurs des années d’or du cinéma taiwanais, les années 1960. En 1973, après ce qui est considéré comme son chef d’œuvre, « Exécution en automne » (《秋决》), il était en train de tourner « The Heart with a Million Knots » (《心有千千结》), une histoire d’amour typique de l’époque, avec une chanson encore populaire aujourd’hui.

 

 

 

 

Début du film avec la chanson

 

Ce genre de films est la base da sa première expérience de cinéaste : des films populaires, histoires d’amour romantiques et mélodrames avec l’élément incontournable de la musique, populaire comme le reste.

 

C’est donc tout naturellement que, quand il réalise ses trois premiers films, après plusieurs années comme scénariste et assistant réalisateur, ce sont des comédies populaires, presque des comédies musicales : « Cute Girl » (就是溜溜的她), en 1980, est l’histoire d’une jeune fille d'une famille riche, amoureuse d'un jeune homme de condition modeste, mais forcée de se marier avec le fils d'un industriel ; « Cheerful Wind » (《风儿踢踏踩》), en 1981, est celle d’une jeune photographe qui rencontre un aveugle, et « Green, Green Grass of Home » (在那河畔青草青), en 1982, celle d’un nouvel instituteur qui arrive dans un petit village de montagne.  

 

Green Green Grass of Home

 

Ce dernier film, bien enlevé, en parfait mandarin, avec la pop star Kenny Bee (钟镇涛 ou 阿B), est un succès commercial.

 

 

Le film (non sous titré)

 

Premier scénario avec Chu Tien-wen

 

Chen Kunhou

 

C’est alors que Hou Hsiao-hsien rencontre la jeune romancière Chu Tien-wen (朱天文) avec laquelle il va écrire un premier scénario et qui va devenir sa scénariste et inspiratrice pour chacun de ses films (2). C’est un tournant dans son œuvre comme c’est un tournant dans l’histoire du cinéma taiwanais.

 

Hou Hsiao-hsien est quelqu’un qui a toujours beaucoup lu. En 1982, il lut dans le magazine United Daily (联合报) une série de courtes nouvelles publiées sous le titre « Histoires d’amour » (爱的故事), dont une de Chu Tien-wen qui lui plut beaucoup. Il avait déjà lu d’autres nouvelles d’elle, ainsi que des œuvres de son père.

 

Il la rencontra dans un café pour lui proposer d’adapter au cinéma la nouvelle qu’il venait de lire. Chu Tien-wen avait déjà écrit un scénario de film télévisé avec Ding Yamin ; elle

suggéra donc de co-écrire le scénario avec lui. Ils l’écrivirent ainsi à trois : Chu Tien-wen écrivit la

première partie, Ding Yamin la seconde et Hou Hsiao-hsien les reprit pour en faire l’adaptation cinématographique.

 

Le film fut réalisé par Chen Kun-hou (陈坤厚), intitulé « Growing Up » (小毕的故事), c’est-à-dire ‘l’histoire de Xiao Bi’, et sortit en 1983. Il est considéré comme le film annonciateur du Nouveau Cinéma taiwanais : il pose en effet les bases d’un style nouveau et de thèmes narratifs différents, ancrés dans la réalité quotidienne et ses problèmes.

 

Le film a par ailleurs fait connaître l’acteur Doze Niu (钮承泽) qui n’avait alors que 17 ans et interprétait le rôle de Xiao Bi (3) ; il jouera dans le film suivant de Hou Hsiao-hsien, assurant une sorte de passage de relais. Mais le film reste quand même très conventionnel.

 

 

Growing Up

  

Le film (chinois non sous-titré)

 

La Nouvelle Vague taiwanaise

 

Les débuts

 

Le mouvement du Nouveau Cinéma taiwanais est né d’une réaction contre l’atrophie du cinéma à Taiwan et de la rencontre de plusieurs personnalités, les unes formées à Taiwan, quelques autres ayant fait des études aux Etats-Unis, dont Edward Yang, bien qu’il n’y ait guère étudié longtemps.

 

Il faut dire aussi que la situation du cinéma de l’île était catastrophique : plus personne ne regardait de films taiwanais. C’est le directeur du principal studio de l’île, le CMPC, qui prit l’initiative de se tourner vers de jeunes écrivains et réalisateurs pour insuffler du sang  nouveau à un secteur moribond. Hou Hsiao-hsien fut l’un des plus novateurs.

 

L’homme-sandwich

 

Le premier film qui peut être considéré comme une sorte de manifeste d’un style nouveau est « L’homme-sandwich »  (《儿子的大玩偶》), film collectif dont Hou Hsiao-hsien a signé la première partie (33’), celle qui a donné son titre à l’ensemble, littéralement « la grande poupée du fils », adaptée d’une nouvelle de Huang Chun-ming (黄春明). Pour gagner sa vie,  un jeune homme se grime en clown pour faire de la publicité pour un cinéma ; mais, comme cela n’attire pas les clients, il change pour un panneau publicitaire qu’il promène à vélo. Mais son fils ne le reconnaît pas sans son déguisement de clown…

 

Le film aborde un sujet neuf, qui va nourrir de vives controverses, les tensions créées par le rapide développement économique de l’île, mais traite aussi des problèmes existentiels et identitaires ; le film peut se lire comme une satire de la condition de tout Taiwanais, partagé entre deux identités conflictuelles, et même plusieurs

si l’on considère ceux qui ont vécu sous l’occupation japonaise. C’est aussi un thème récurrent dans l’œuvre de Hou Hsiao-hsien, qui correspond à une quête à la fois personnelle et nationale.

 

 

Extrait de L’homme-sandwich

 

Les garçons de Fengkuei 

 

C’est avec « Les garçons de Fengkuei » (《风柜来的人》), en 1983 aussi, que Hou Hsiao-hsien non seulement poursuit ses recherches stylistiques, mais aussi met en place avec Chu Tian-wen la manière dont il va désormais élaborer ses scénarios : par étapes progressives.

 

Il avait le contenu : les souvenirs d’un épisode de sa vie. Le jeune Ah-Ching et ses amis vivent dans un village de pêcheurs ; ils ont fini leurs études et, désoeuvrés, passent leur temps à boire et à se battre jusqu’à ce que trois d'entre eux décident d'aller à la ville voisine de Kaohsiung chercher du travail. Ils trouvent un appartement grâce à un parent, et Ah-Ching est attiré par la petite amie d’un voisin. Ils doivent affronter en même temps la dure réalité de la vie urbaine et celle du passage à l’âge adulte.

 

Il lui restait à trouver la forme, et c’est là qu’intervint

 

Les garcons de Fengkuei

Chu Tien-wen. Elle lui donna à lire l’autobiographie de Shen Congwen (沈从文) (4) dont les œuvres étaient interdites à Taiwan (et le resteront jusqu’à la levée de la loi martiale, en 1989). Ce fut une révélation pour Hou Hsiao-hsien : bien que décrivant sa vie et ses expériences personnelles, l’écrivain le faisait avec distanciation froide, « comme s’il regardait tout cela du haut des cieux », dit Chu Tien-wen.

 

C’est cette approche distanciée que Hou Hsiao-hsien adopta pour traduire ses propres souvenirs sur la pellicule, créant pour cela une perspective spécifique, en discutant avec Chu Tien-wen. Cet échange d’idées est  ensuite devenu de façon systématique la partie initiale de l’écriture de ses scénarios, déterminant une atmosphère générale, complétée par un aller-retour entre le réalisateur et sa scénariste, le scénario n’étant jamais totalement acquis, mais au contraire constamment remanié au cours du tournage.

 

Avec ce film est amorcée la « trilogie de l’adolescence ».

 

La trilogie de l’adolescence 

 

Cette trilogie évoque, plus qu’elle ne retrace, les souvenirs d’adolescence de Chu Tien-wen et du réalisateur, ainsi que d’un autre de leurs amis, écrivain puis réalisateur, qui joua un rôle important dans le mouvement du Nouveau Cinéma taiwanais, Wu Nien-jen (吴念真). C’est avec ces trois films que se précise le style propre à Hou Hsiao-hsien.

 

1. « Un été chez grand-père » (冬冬的假期), en 1984, part d’un souvenir d’enfance de Chu Tien-wen. Un jeune garçon – le Dongdong (冬冬) du titre – et sa petite sœur passent les vacances d’été dans la maison de leurs grands-parents, à la campagne, pendant que leur mère récupère d’une maladie. Ils passent leurs journées à grimper aux arbres, se baigner dans la rivière et partir à la recherche d’animaux égarés ; ce pourrait être paradisiaque, mais il leur faut aussi affronter quelques réalités énigmatiques et vaguement inquiétantes du monde des adultes.

 

Un été chez grand-père (l’affiche japonaise)

 

Un été chez grand-père, solitude

 

Le film n’est pas adapté d’une nouvelle : la nouvelle de Chu Tien-wen a été écrite après le film, comme pour « Les garçons de Fengkuei ». L’écriture du scénario est partie des discussions sur le sujet entre la romancière et le réalisateur, participant à l’élaboration d’un contexte d’idées se fixant directement en images.

 

 

2. « Un temps pour vivre, un temps pour mourir » (童年往事), en 1985, revient sur les souvenirs d’enfance de Hou Hsiao-hsien lui-même. De 1947 à 1960, le film suit la lente maturation d’un enfant qui doit affronter l’exil et le déracinement ; l’enfant arrive peu à peu à s’acclimater à son nouveau pays, mais cela l’éloigne de sa famille qui conserve l’illusion qu’ils pourront un jour rentrer « chez eux ».

 

Le drame personnel du réalisateur, sa quête identitaire sont ici illustrés par bribes de souvenirs comme des bulles remontant du passé. On sent un effet cathartique.

 

3. « Poussières dans le vent » (《恋恋风尘》), enfin, en 1986, est né de la rencontre avec Wu Nien-jen (吴念真) dont les souvenirs recoupent étrangement ceux du réalisateur. C’est le début d’une longue collaboration, mais la fin d’un cycle qui

 

Un temps pour vivre, un temps pour mourir

constitue comme le portrait des jeunes années d’une génération, et du pays pendant la même période.

 

Des bribes de souvenirs

 

Hou Hsiao-hsien a désormais trouvé son style, épuré et réflexif, lié à un rythme lent, mené par de longs plans séquences filmés avec une caméra fixe. L’histoire est évoquée dans la brume de la mémoire, avec des alternances d’images significatives émergeant d’un flou savamment préservé.

 

Hou Hsiao-hsien est alors découvert par Olivier Assayas qui le recommande aux frères Jaladeau, organisateurs du festival des Trois Continents, à Nantes (4). Primés

à double reprise lors de ce festival, les deux premiers films font brusquement connaître Hou Hsiao-hsien

sur la scène internationale. Le troisième est primé au festival de Berlin.

 

La trilogie de l’histoire

 

Avec « La Fille du Nil » (《尼罗河的女儿》), en 1987, Hou Hsiao-hsien se ménage une transition, reprend son souffle pour passer à une réflexion plus axée sur l’histoire de Taiwan, moins directement autobiographique, mais toujours aussi personnelle.

 

1. Cette nouvelle trilogie commence par le chef d’œuvre qu’est « La cité des douleurs » (悲情城市), Lion d'or à la Mostra de Venise en 1989. Hou Hsiao-hsien a profité de la levée de la loi martiale pour aborder un sujet jusque là tabou : la répression sanglante menée par le Guomingdang pour assurer son pouvoir dans l’île, et en particulier ce qu’il est convenu d’appeler « l’incident 228 » ou « massacre du 28

 

 

La cité des douleurs (affiche officielle)

février » (二二八大屠杀) : réponse brutale à des manifestations des anciens Taiwanais contre les

 

La cité des douleurs (projet d’affiche)

 

nouveaux venus ; cette explosion des tensions se prolongea ensuite par la « terreur blanche » (白色恐怖 báisè kǒngbù) pendant laquelle des dizaines de milliers de Taiwanais furent torturés, exécutés ou emprisonnés.

 

Le film raconte l’histoire d’une famille décimée pendant cette période, du grand-père au dernier des petits-enfants. Pour la première fois, Hou Hsiao-hsien donne un rôle à un acteur très connu : Tony Leung Chiu-wai. Son incapacité à parler le mandarin imposa un rôle muet, exemple type de l’adaptation des scénarios par HHH, sous l’influence des circonstances, et qui vient ici renforcer le caractère dramatique du personnage.

 

Le film eut un impact inespéré sur la scène politique, suscitant un débat public et, in fine, un mea culpa du Guomingdang….

 

2. « Le Maître de marionnettes » (《戏梦人生》), en 1993, est une réflexion sur l’occupation japonaise de l’île à travers les souvenirs du célèbre maître de marionnettes Li Tien-lu (李天禄), celui qui interprète magistralement le rôle du grand-père dans « Poussières dans le vent » (《恋恋风尘》).

 

Là encore, le film a un effet cathartique, effectuant une relecture de l’occupation japonaise et de sa diabolisation officielle, et incitant à une relativisation des jugements. Il s’agit d’une poursuite de la quête identitaire,

 

Le maître de marionnettes

nationale autant qu’individuelle : après l’acceptation de l’exil, Hou Hsiao-hsien suggère une acceptation d’un passé délicat où les individus ont été broyés par la machine de l’histoire, racontée ensuite par les vainqueurs. 

 

3. Adapté des souvenirs personnels de la romancière Chiang Bi-yu qui a participé à l’écriture du scénario, « Good Men, Good Women » (好男好女) enfin, en 1995, vient établir un pont entre passé et présent, par le biais d’un film dans le film : une jeune actrice est harcelée par un inconnu qui lui a dérobé son journal intime, lui téléphone et lui en faxe des pages ; mais elle tourne en même temps un film qui raconte l’histoire d’un couple de jeunes Taiwanais ayant fait la guerre en Chine (continentale) aux côtés des communistes et sont pris dans la terreur blanche en rentrant à Taiwan ; elle finit par s’identifier à son rôle.

 

Le film offre une subtile conclusion (provisoire) à la réflexion de Hou Hsiao-hsien sur le temps et l’histoire, opérant un parallèle amer entre l’engagement de la jeunesse des années 1950 et l’absence de valeurs doublée d’amnésie de la période contemporaine.

 

Good men, good women

 

Cette réflexion à cheval sur le passé et le présent annonce la thématique des films suivants.

 

Passé et présent

 

Deux films tournés en 1996 et 1998 amorcent un changement thématique, mais aussi stylistique :

 

1. « Goodbye South, Goodbye » (《南国再见,南国》), en 1996, décrit la vie d’une bande de petits malfrats, genre Easy Driver, la musique tentant de créer un effet hallucinatoire. La caméra devient mobile, avec de longs travellings qui suivent les personnages… mais si les trains peuvent emmener loin, les motos, dans ce film,  confinent à un espace clos, sans espoir ni échappatoire.

 

Goodbye, South, Goodbye

 

 

Extrait de Goodbye South, Goodbye

 

2. « Les fleurs de Shanghai » (海上花) est le chef d’œuvre qui clôt le siècle en revenant sur un grand classique chinois de la fin du 19ème.  Le film, comme le livre, se passe dans l’univers feutré, crépusculaire et un rien baroque, d’une maison close. Il n’était pas question d’adapter le récit, extrêmement long, même pas d’en choisir des extraits, mais d’en traduire l’atmosphère : il aura fallu un an de préparation, mais le pari est gagné.

 

« Les fleurs de Shanghai » se présente en fait comme la re-création de l’univers de l’écrivain par le biais des souvenirs de lecture et de ce qui en est resté dans l’imagination du réalisateur et de sa scénariste, un peu comme Wong Kar-wai (王家卫) recréant l’univers de Jin Yong (金庸) dans « Les cendres du temps » (东邪西毒). Et les parallèles avec Wong Kar-wai ne s’arrêtent pas là…

 

Les fleurs de Shanghai

 

C’est un chef d’œuvre intemporel qui reste à part dans la filmographie du réalisateur, son film sans doute le plus ambitieux et le plus profond, mais qui n’a pas été apprécié à sa juste valeur à sa sortie. Présenté au festival de Cannes en 1998, il n’a pas eu la Palme d’or (elle est allée à « L’éternité et un jour » de Theo Angelopoulos, tandis que le prix du jury était décerné à « La vie est belle » de

Roberto Benigni), et il n’a eu que très peu de prix par ailleurs. Il a en outre été mal reçu et à Taiwan et à Hong Kong. Mais c’est surtout l’échec à Cannes qui a été un traumatisme pour Hou Hsiao-hsien. Il lui faudra beaucoup de temps pour s’en remettre, mais c’est resté pour lui une voie stylistique sans issue.

 

3. Le tournant du millénaire est marqué par un film qui tente d’analyser la modernité et ses illusions : « Millennium Mambo » (千禧曼波) est un film sur la Taiwan contemporaine, un film au rythme plus rapide, qui tente de coller à une vie de jeunes tournés vers l’action, mais perdus entre boîtes de nuit et dérive de jour, dans une solitude qui les condamne à l’incommunicabilité.

 

Le film a fait découvrir l’actrice Shu Qi (舒淇), mais Hou Hsiao-hsien ne semble très à l’aise dans une thématique qui lui interdit le recul qu’il privilégie. « Millennium Mambo » reste célèbre pour sa longue séquence introductive.

 

 

Millenium Mambo

 

 

Millenium mambo, séquence introductive

 

4. Comme s’il voulait revenir vers des sujets qui lui permettent la distanciation nécessaire, Hou Hsiao-hsien a ensuite tourné un film en hommage au réalisateur avec lequel il a sans doute le plus d’affinités, Yasujiro Ozu.

 

Réalisé au Japon, sur une proposition du grand studio japonais Shochiku pour le festival commémorant le centenaire de la naissance du maître, « Café Lumière » (咖啡時光) traite de thèmes récurrents chez Ozu qui sont proches aussi de ceux de Hou Hsiao-hsien : les tensions entre générations, et, partant, entre tradition et modernité.

 

Encore une fois, ce n’est pas une imitation du style Ozu, mais un hommage à l’esprit Ozu. C’est aussi un approfondissement stylistique : le film est construit en séquences qui se passent dans le train, le métro…. Les sons sont directs, traduisant une volonté de prise sur le réel (5), mais les personnages

 

Café Lumière

sont ambigus, contrairement à ceux d’Ozu.

 

5. En 2005, « Three Times » (最好的時光) est nominé pour la palme d’or au festival de Cannes. Il est composé de trois histoires d'amour, en 1966, 1911, et 2005, interprétées par les deux mêmes acteurs, Shu Qi (舒淇) et Chang Chen (张震).

 

Il s’agissait à l’origine d’un film omnibus dont les trois parties devaient être réalisées par trois réalisateurs différents, mais, les producteurs ayant échoué à réunir le financement nécessaire, c’est finalement Hou Hsiao-hsien qui a repris la totalité du projet, en en faisant une sorte de somme récapitulative, ou un miroir, de son œuvre, en trois parties qui sont présentées comme des « rêves » :

 

- « A Time for Love » - rêve d’amour - (恋爱梦 liànài mèng) est situé à Kaohsiung in 1966, avec des dialogues en taiwanais ;

 

Three Times

- « A Time for Freedom » - rêve de liberté -  (自由 zìyóu mèng) est situé à Dadaocheng in 1911, avec des dialogues présentés seulement sous forme d’intertitres. La jeune courtisane rêve de liberté  en un temps où le pays est sous le joug de l’occupation japonaise. Le rêve de liberté précède en fait celui de l’amour.

- « A Time for Youth » - rêve de jeunesse - (青春 qīngchūn mèng) est situé à Taipei en 2005, avec des dialogues en mandarin. C’est un rêve nostalgique.

 

Comme l’a dit Roger Ebert, dans le Chicago Sun-Times : « Tout est photographié avec une telle beauté visuelle que l’on retient son souffle en regardant le film, comme l’on fait pour éviter que ne bouge un papillon… » (ma traduction)

 

C’est l’un des films préférés de Jim Jarmusch qui, le commentant,  a rendu un véritable hommage à l’un des grands maîtres du cinéma du vingtième siècle qui a influencé tant d’autres cinéastes :

 

Hou Hsiao-hsien is not only the crowning jewel of contemporary Taiwanese cinema, but an international treasure. His films are, for me, among the most inspiring of the past thirty years, and his grace and subtlety as a filmmaker remain unrivaled. Film after film, Hou Hsiao-hsien is able to adeptly balance a historical and cultural overview with the smallest, most quiet and intimate details of individual interactions. His narratives can appear offhand and non-dramatic, and yet the structures of the films themselves are all about storytelling and the beauty of its variations…
His newest film, Three Times, is also his newest masterpiece. A trilogy of three love stories, Chang Chen and Shu Qi beautifully portray Taiwanese lovers in three distinct time periods…. The first section (in 1966), just on its own, is one of the most perfect pieces of cinema I’ve ever seen. The second, set in a brothel in 1911, remarkably explores dialogue and verbal exchange by almost completely eliminating sound itself (!), while the final piece leaves us in present-day Taipei — a city of rapidly changing social and physical landscapes where technology has a harsh effect on delicate interpersonal communication. The resonance of these combined stories, their differences and similarities, their quietness and seeming simplicity, left me in a near dream-state - something that only happens to me after the most striking cinematic experiences.”

 

6. Le film suivant de Hou Hsiao-hsien, à l’origine une commande du musée d’Orsay, est aussi un hommage à Albert Lamorisse : « Le Voyage du ballon rouge » (《红气球的旅行》).

  

7. Après huit ans de gestation, et le double de préparation, Hou Hsiao-hsien achève en 2015 le film de wuxia qui lui tenait tant à cœur depuis si longtemps : « The Assassin » (刺客聂隐娘). Le film est sélectionné en compétition officielle au 68ème festival de Cannes. Avec ce film, Hou Hsiao-Hsien revient aux sources historiques et littéraires du wuxia, en offrant sa vision personnelle de l’histoire de l’un des archétypes les plus anciens de la nüxia.

 

 

The Assassin

 

 

Notes

(1) Dont un long entretien avec Michael Berry en avril 2001 (voir bibliographie)

(2) Sur Chu Tien-wen, voir : www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Zhu_Tianwen.htm

(3) C’est le même qui, passé à la réalisation, a connu un succès phénoménal avec « Monga » () en 2010.

(4) Sur Shen Congwen, voir : www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_ShenCongwen.htm

(5) Voir son superbe documentaire sur le réalisateur :

« HHH, un portrait de Hou Hsiao-Hsien », réalisé par Olivier Assayas en 1997 dans la série Cinéastes de notre temps. Collection conçue et produite par André S. Labarthe & Jeanine Bazin.

Présentation de son documentaire par O. Assayas, à l’occasion de la projection du film au centre G. Pompidou - le réalisateur précise les circonstances fortuites qui lui ont fait découvrir Hou Hsiao-hsien, le choc de la découverte et, chose peut-être moins connue, l’influence que HHH a eue sur ses propres films (il a réalisé son premier film deux ans plus tard) :

 

 
Cinéastes de notre temps, HHH, portrait de Hou...

 

(6) Voir la note d’intention de Hou Hsiao-Hsien pour ce film :

« … Je suis un réalisateur taiwanais. Même si je suis allé une vingtaine de fois au Japon au cours de ces vingt dernières années, je n’y habite pas, j’y suis un étranger. C’est donc instinctivement que je remarque les particularités du pays et de ses habitants. Dans mon observation de la vie japonaise, j’allais prendre un risque considérable : celui de passer à côté de la réalité. Or, je suis persuadé que la vérité du quotidien constitue la véritable base du film… »

 


 

Filmographie

 

Trois premiers films :

1980 : Cute Girl (就是溜溜的她)

1981 : Cheerful Wind (風兒踢踏踩/《风儿踢踏踩》)

1982 : Green, Green Grass of Home (在那河畔青草青)

Film de transition :

1983 : L'Homme-sandwich (兒子的大玩偶/《儿子的大玩偶》) :

           film collectif, épisode La Grande Poupée du Fils

Films autobiographiques :

1983 : Les garçons de Fengkuei (風櫃來的人/《风柜来的人》)

1984 : Un été chez grand-père (冬冬的假期)

1985 : Un temps pour vivre, un temps pour mourir (童年往事)

1986 : Poussières dans le vent (戀戀風塵/《恋恋风尘》)

Film de transition :

1987 : La Fille du Nil (尼羅河的女兒/《尼罗河的女儿》)

Trilogie sur l'histoire de Taiwan :

1989 : La Cité des douleurs (悲情城市)

1993 : Le Maître de marionnettes (戲夢人生/《戏梦人生》)

1995 : Good Men, Good Women (好男好女)

Réflexion sur le présent et le passé :

1996 : Goodbye South, Goodbye (南國再見,南國/《南国再见,南国》)

1998 : Les Fleurs de Shanghai (海上花)

2001 : Millennium Mambo (千禧曼波)

2003 : Café Lumière (咖啡時光)

2005 : Three Times (最好的時光)

2007 : Le Voyage du ballon rouge (紅氣球的旅行/《红气球的旅行》)

2015 : The Assassin (《刺客聂隐娘》)

 


 

Récompenses 

 

1984 : Montgolfière d'or au Festival des 3 Continents pour « Les Garçons de Fengkuei ».

1985 : Montgolfière d'or au Festival des 3 Continents et Prix du jury au festival de Locarno pour « Un été chez grand-père ».

 + Prix de la Critique internationale au festival de  Berlin pour « Un temps pour vivre et un temps pour   mourir »

1989 : Lion d’or à la Mostra de Venise pour « La Cité des douleurs ».

1993 : Prix du Jury au Festival de Cannes pour « Le Maître de marionnettes ».

 


 

Bibliographie sélective

 

- Hou Hsiao-hsien, sous la direction de Jean-Michel Frodon, préface d'Olivier Assayas. Editions Cahiers du cinéma. Paris, 1999.
- Hou Hsiao-hsien with Chu Tien-wen, Words and Images, in Speaking in Images, Interviews with Contemporary Chinese Filmmakers, Michael Berry, Columbia University Press, 2005, pp. 235-271.
- Hou Hsiao-hsien par Corrado Neri, in Dictionnaire du cinéma asiatique, sous la direction d’Alain Gombeaud, Nouveau Monde éditions, octobre 2008.
- The Sinophone Cinema of Hou Hsiao-hsien : Culture, Style, Voice, and Motion, by Christopher Lupke, Cambria Press 2016.
Review by Frederik H. Green :
http://u.osu.edu/mclc/2016/09/16/the-sinophone-cinema-of-hou-hsiao-hsien-review/

 


 
A lire en complément


L'enregistrement de la conférence donnée par Wafa Ghermani à la Cinémathèque française le 3 mars 2016 sur Hou Hsiao-hsien et sa représentation de l'histoire.
http://www.cinematheque.fr/video/799.html
 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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