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Présentation

par Brigitte Duzan, 9 juillet 2022

 

Artiste original aux multiples facettes, né à Laiwu, dans le Shandong (山东莱芜), le 16 février 1979, Han Tao (韩涛) est peintre, poète, dramaturge et, depuis le début des années 2000, réalisateur indépendant chinois.

 

Artiste

 

Il a tenu sa première exposition personnelle à l’Institut des Beaux-arts du Shandong en 1999. En 2007, il a été curateur de l’Exposition d’art contemporain du Shandong « Breathe » (呼吸——2007山东当代艺术大展), première grande exposition de groupe d’art contemporain de la province, retraçant l’ histoire de l’art contemporain dans la province de 1979 à 2007 [1]. À cette occasion, il a publié le catalogue « Breathe » (《呼吸》).

 

Han Tao

 

En 2011, il a participé, pour la partie sur l’art contemporain, à l’édition de l’ouvrage « 20 ans d’histoire du nouveau Songzhuang » (《历史新宋庄20). En 2013, il a exposé son installation Rainbow Tower (《彩虹塔》) à la Biennale de Venise (55ème édition).

 

Réalisateur

 

Han Tao a fait ses débuts au cinéma en 2001, après avoir vu le film de 1967 de Jean-Luc Godard « Week-end » [2] dont Godard a dit : « Je ne sais pas comment le présenter. C'est un film qui déplaira sûrement à la majorité des spectateurs… Parce que c'est très méchant, grossier, caricatural. C'est fait dans l'esprit de certaines bandes dessinées d'avant-guerre. » … C’était donc déjà tout un programme de se lancer dans le cinéma sous la bannière de ce film. L’artiste était original et turbulent, le réalisateur s’annonçait dès l’abord provocant.

 

Han Tao a commencé par réaliser des documentaires avant de passer aux films de fiction. Mais, sachant que la limite entre fiction et non-fiction

 

Breathe

est ténue [3], on peut dire que l’ensemble de son œuvre, d’une manière ou d’une autre, est du docu-fiction expérimental. 

 

Le pionnier de la Nouvelle Vague du documentaire chinois Wu Wenguang (吴文光) a dit de lui : « Un grand nombre de documentaristes filment froidement les souffrances des gens, mais ne tournent jamais leur caméra sur eux. C’est ce qu’a fait Han Tao. » Il a lui-même expliqué : « Ce que je filme, c’est ma propre vie. En tant que documentariste, ce que je veux vous dire, c’est ce que je vis, ce qui m’arrive, ce que je pense ; je vais sortir tout cela et vous le montrer. »

 

Après un documentaire sur les femmes dans l’histoire, il tourne « Baby » (ou Baobao《宝宝》) qui sort en 2003. Baobao est un homosexuel venu s’installer à Jinan (济南), la capitale du Shandong. Il travaille assidûment, montant un petit restaurant, puis devenant directeur d’une maison de thé, et enfin d’un bar. Le film explore pendant  deux ans les conditions de vie de la communauté gay de Jinan et ses changements, en les mettant en parallèle avec les changements concomitants de la société.

 

Big Fog

 

Achevé en 2007, son film suivant, « Big Fog » (《大雾》), est sélectionné au 32ème Hong Kong International Film Festival, en 2008 [4]; en 2009, il est projeté dans le cadre du festival Shadows dans sept villes européennes (Lyon, Rome, Londres, Bruxelles, etc). Ce que l’on retient, dans ce brouillard, c’est le mal de vivre et la violence latente, comme une introduction à l’univers du réalisateur.

 

« Man’s World » (《人间》), sorti en 2013, est un autre film documentaire dont le personnage principal est pris comme une sorte de modèle-type des villageois injustement victimes de peines de prison. Ce villageois, Liu Renwang (刘仁旺), d’un village du Shanxi, a été incarcéré après l’assassinat de l’adjoint du chef du village. Après sa sortie de prison, au bout de cinq ans, Liu Renwang explique que les confessions sont

toujours extorquées par divers moyens de torture : coups,  choc électriques, brûlure à l’eau bouillante, enfermement dans une cage en fer, coups de couteau dans les doigts, etc. Il apporte un complément visuel avec des dessins. Même après avoir été acquitté et relâché, il a du mal à retrouver le calme. 

 

En 2015, le docu-fiction « The Missing » (《缺失》) coréalisé avec Zhang Xianmin (张献民) a été présenté au Festival de cinéma international de Hambourg où il a gagné le Best Experimental K26 Film Award ; il a été en compétition au 12ème Festival de cinéma indépendant de Pékin et au festival international de documentaires d’Atlanta où il a décroché le Silver Prize. L’argument du film part d’une histoire biblique pour dépeindre la lutte d’un jeune garçon qui veut changer de sexe. On retrouve le thème genre-transgenre que Han Tao avait déjà abordé dans « Baby ».

 

La même année, le documentaire « Scars » (《伤疤》), coréalisé avec Zhuo Kailuo (卓楷罗), a été projeté en première mondiale à l’université Lumière Lyon 2, en France. Scars, les cicatrices, sont les traces de blessures, et d’un processus de régénération, de guérison ; elles sont les métaphores des peines et frustrations de la vie, et les preuves de survie. Ce

 

Scars

documentaire est la première partie d’un projet qui devrait couvrir l’histoire des « cicatrices », individuelle et collectives, de 110 Chinois depuis 1949.

  

En 2016, avec « Maguey » (龙舌兰), il s’amuse à évoquer la vie d’une équipe de tournage sans un sou. Le film est conté de six points de vue différents : l’écriture du scénario, l’enregistrement du son, la photographie, la direction artistique, le jeu des acteurs et le travail du réalisateur.

 

Tiger in the Zoo

 

Sorti en 2017 et également coréalisé avec Zhuo Kailuo, « Tiger in the Zoo » (《东北大哥》), est une sorte de pastiche des films de triade hongkongais, un film de triade où tout va à vau-l’eau, comme c’est le cas en général dans l’univers de Han Tao. L’univers est ici celui du Nord-Est après la reconversion industrielle qui a fermé les usines et réduit les ouvriers au chômage. Faute de mieux, le personnage principal, Chong‘er (虫二), est devenu collecteur de dettes pour le gangster du coin et se retrouve impliqué dans la lutte qu’il mène contre l’entrepreneur local qui refuse de se soumettre, et finira par le payer. Mais Chong‘er (虫二) n’a qu’un désir : un rêve artistique étouffé, celui de monter sur les planches comme acteur de errenzhuan (二人转), cette sorte de monologues ou dialogues comiques typiques du Nord-Est [5]. Artiste condamné par l’époque, comme les poètes dans les autres films de Han Tao.

 

C’est le cas de « Wolf » (《狼》), sorti en 2015 au Festival international de cinéma de Houston où il a obtenu le prix du meilleur film expérimental, dans la catégorie fiction. En 2018, le film a remporté le prix du jury (Orchidée d’or) dans une section spéciale « Films chinois d’honneur » au festival de Cannes [6]. Le film est au confluent de la littérature et du cinéma. Han Tao s’est inspiré de l’histoire vraie du poète Wofu (卧夫) qui a choisi de se suicider dans les montagnes au printemps, loin de la ville [7]. Mais il en a fait bien plus un hommage aux poètes chinois et à leur difficile existence en marge de la vie et de la société, aujourd’hui.

 

C’est sans doute l’un des plus films les plus représentatifs de Han Tao. On trouve au casting l’acteur fétiche de Jia Zhangke (贾樟柯), Han Sanming (韩三明), de même que Wang Hongwei (王宏伟) figure dans celui de « Big Fog ». C’est une

 

Wolf

manière de se rattacher au courant indépendant du cinéma chinois, tout en y occupant un créneau à part.

 

Festival de Cannes 2018, film chinois d’honneur,

Orchidée d’or à « Wolf »

 

Le suicide, et celui des poètes en particulier, est d’ailleurs, directement ou non, un thème récurrent dans les films de Han Tao, comme s’il était lui-même taraudé par cette tentation, les films étant comme une échappatoire autant qu’une manière de susciter une prise de conscience. Toute la première partie d’un film encore peu connu, « Sense of Space » (《感受空间》), déroule des images et des extraits de poèmes au milieu desquels sont intercalés des commentaires sur

le suicide : d’abord des statistiques (« Le suicide est la cinquième cause la plus importante de mort en Chine. Le taux national moyen de suicide y est de 23 /100 000, ce qui signifie près de 300 000 morts par an »), puis des réflexions (« Le suicide n’est pas une affaire privée, ni une attitude personnelle extrême, il suggère un problème social bien plus complexe, une logique éthique de survie »). Suivi du constat qui irrigue toute l’œuvre : « Tout le monde finit par se sentir étranger dans sa propre ville natale » [8].

 

Wild Grass

 

Weave a Period of Time

 

L’un des films les plus complexes de Han Tao, par ailleurs, est « Weave a Period of Time » (《岁月如织》), sorti en 2019, où l’aspect narratif est un peu plus développé, même si c’est pour en cultiver le mystère. S’il faut tenter d’en donner un résumé, disons que c’est l’histoire d’un ouvrier d’une usine textile nommé Chong’er (虫二) tombé follement amoureux d’une nouvelle arrivée dans l’usine, Xiao Lan (小兰). Il se marient, mais leur bonheur est de courte durée. Accusé d’avoir violé la loi, sans qu’on sache trop laquelle, Chong’er est exécuté. Xiao Lan qui est enceinte est poussée à avorter. Trente ans plus tard, l’usine a fermé et tombe en ruine. Les anciens tentent de racontent l’histoire, mais le temps a brouillé les souvenirs, dilué la mémoire… Reste l’éternel regret, chez Xiao Lan, d’avoir perdu son enfant.

 

C’est un film déroutant. Si l’affiche est dans des couleurs vives, il est dans le noir et blanc de la mémoire qui fiche le camp. Mémoire traumatique qui revisite le passé en tentant de faire revivre des personnages qui ne sont plus que des ombres, des zombies aux gestes répétitifs, comme chorégraphiés dans le vide. La musique, de Gabriel Yared [9], ajoute au malaise, et le film a bénéficié du regard des Gao Brothers, crédités au générique comme conseillers artistiques (ils sont tous deux natifs du Shandong).

 

Par ailleurs, l’ouvrier de l’usine est nommé Chong’er (虫二) comme son homologue dans « Tiger in the Zoo » ; il est d’ailleurs interprété par le même acteur, ce qui renforce le sentiment d’un lien entre les films, comme émanant d’un même univers. Mais un univers qui est à reconstituer peu à peu, à partir des éléments contenus dans les images, dispersés comme les morceaux d’un puzzle.

 

Outre l’atmosphère délétère de violence et de désespoir latents qui se dégage de tous ces films de Han Tao, ils frappent aussi par un style très particulier, avec des séquences très longues, quasiment statiques, qui produisent un sentiment d’ennui venant renforcer l’impression générale mortifère. L’univers de Han Tao est celui d’un monde postindustriel et postmoderne où il s’agit de survivre, mais où l’individu a du mal à trouver sa place, surtout s’il est doté de sensibilité.

  


 

Filmographie

Au confluent du documentaire et de la fiction     

 

2001 Women in History《时间做的女人》 (60’)

2003 Baby 《宝宝》(91’) – China Triennal of Art

2006 Big Fog 《大雾》(110’)  

2013 Man’s World 《人间》 (72’)

2015 Wolf 《狼》(92’)

2015 Nine Years, Ten Months, Twenty Days 《九年十个月25天》(100’)

         – nominé au festival du cinéma indépendant de Pékin

2015 Scars 《伤疤》 (102’) – coréalisé avec Zhuo Kailuo (卓楷罗)

2015 The Missing 《缺失》(87’), docu-fiction coréalisé avec Zhang Xianmin (张献民).

2016 Maguey 龙舌兰(85’)

2017 Who is my Lord 《谁是我的主》 (64’) – 1st Pingyao DV Film Festival

2017 Tiger in the Zoo  《东北大哥》(117’) coréalisé avec Zhuo Kailuo (卓楷罗)

2018 Wild Grass《野草》(88’)

2019 Weave a Period of Time 《岁月如织》(110’).

 


 


[1] L’exposition a commencé par un « happening » qui consistait à écraser une voiture sous un bloc de pierre projeté par une pelleteuse, voiture devenue symbole fétiche de l’expo, un peu comme les voitures écrasées d’Arman dans son « Long Term Parking » :

http://www.art-ba-ba.com/main/main.art?threadId=8462&forumId=8

[2] Inspiré de la nouvelle « La autopista del sur » de Julio Cortázar, mais non créditée au générique, le film est une histoire d’anarchistes qui kidnappent des bourgeois partis en week-end pour les manger en barbecue.

 

Bande annnonce

 

[3] La recherche sur les liens étroits entre fiction et non-fiction est aussi un courant dominant dans la littérature contemporaine chinoise, aujourd’hui. Lu Min (魯敏) par exemple en a fait le sujet central de l’une de ses dernières novellas : « Il a dû se passer quelque chose » (《或有故事曾经发生》) dont l’argument de départ est, comme dans le film de Han Tao « Who is my Lord ? » (《谁是我的主》), le suicide d’une jeune fille…

[4] Le film était sélectionné dans la section « Indie Power », voir Perspectives chinoises 2010/1, p. 96 :
https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2010_num_110_1_3996

[6] Section quasiment fantôme dont on ne trouve guère trace que sur des sites chinois :
https://www.sohu.com/a/232385754_453900

[7] Le type même du poète maudit qui, né en 1964, choisit le suicide à cinquante ans :

https://baike.baidu.com/item/%E5%8D%A7%E5%A4%AB/13868040

[8] Mais la deuxième partie du film est une discussion sur l’aspect éthique, justement, d’un documentaire de Han Tao, et partant des questions d’ordre éthique qui se pose au réalisateur de documentaires, surtout sur des sujets aussi délicats que le suicide.

[9] Grand compositeur de musiques de films, à écouter sur son site : https://www.gabrielyared.com/#

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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