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La réalité derrière les statistiques du box office chinois : déception et changement de politique

par Brigitte Duzan, 24 mars 2012

 

Les statistiques du box office chinois paraissent mirobolantes : les recettes globales ont doublé en 2011 par rapport à 2009 (1).

 

En réalité, ces chiffres bruts ne sont pas aussi réjouissants qu’il y paraît : la déception est patente ces dernières semaines, entraînant, semble-t-il, une amorce de changement de politique pour tenter de pallier une désaffection du public envers les grosses productions nationales – réaction d’autant plus nécessaire que le récent accord signé par le vice-président Xi Jinping à l’issue de sa visite aux Etats-Unis prévoit de faire passer de vingt à trente quatre le quota annuel de films étrangers admis en Chine en partage de recettes (2).

 

1. Succès des superproductions américaines

 

Si l’on analyse les statistiques des recettes du box office chinois sur base hebdomadaire depuis la fin du mois de février 2012, on se rend compte que ce sont les grosses productions américaines qui font, grosso modo, les deux tiers des recettes.

 

 

A Simple Life

a) Pendant la 9ème semaine 2012 (27 février-4 mars), le marché cinématographique chinois a continué à progresser : le nombre de sorties est le double de celui de la période correspondante de l’année 2011, et le chiffre des recettes de la semaine supérieur de 71 % à celui de la même semaine l’an dernier. Mais les cinq premiers films en termes de recettes sont des grosses productions américaines, la superproduction de Steven Spielberg « War Horse » venant largement en tête pour sa première semaine d’exploitation :

(en millions de dollars, recettes de plus de 2 millions, entre parenthèses nombre de jours depuis la sortie)

1. War Horse                                      8,8 ( 6 jours)

2. Journey 2, the Mysterious Island        6,1 (24 jours)

3. Mission Impossible, Ghost Protocol      3,8 (37 jours)

4. Conan the Barbarian                         3,1 ( 8 jours)

5. Happy Feet 2                                  2,2 (13 jours)

 

Ces cinq films ont réalisé 73 % des recettes.

 

b) Pendant la 10ème semaine 2012 (5-11 mars), le chiffre des recettes a baissé de 10 % par rapport à la semaine précédente, « War Horse » continuant à caracoler en tête. Mais un phénomène intéressant est apparu : c’est le film d’Ann Hui (许鞍华) « A Simple Life » (《桃姐》), sorti dans la semaine, qui apparaît en seconde position, entraînant une baisse des recettes des films américains, à 62 % du box office de la semaine, et ce malgré la sortie des « Spy Kids » de la Weinstein Company.

(en millions de dollars, recettes de plus de 2 millions)

 

 

Let the Bullets Fly

1. War Horse                                     5,9 (13 jours)

2. A Simple Life                                        5,2 ( 4 jours)

3. Journey 2                                      3,4 (31 jours)

4. Spy Kids                                        3,- ( 6 jours)

5. Conan the Barbarian                        2,7 (15 jours)

6. Mission Impossible                           2,3 (44 jours)

 

c) Pendant la 11ème semaine 2012 (12-18 mars), le box office a de nouveau augmenté, de 8 %, mais grâce à la sortie le 16 mars de la superproduction de science-fiction en 3D de Walt Disney « John Carter of Mars ». Un second film de Hong Kong se glisse cependant en troisième position derrière « A Simple Life » :

(en millions de dollars, recettes de plus de 2 millions)

1. John Carter of Mars                        14,-  ( 3 jours)

2. A Simple Life                                       3,5 (11 jours)

3. Night Fall                                             3,1 ( 4 jours)

4. War Horse                                    2,6 (20 jours)

 

Journey 2, Spy Kids et Conan the Barbarian restent respectivement en 7ème, 9ème et 10ème position. Les films américains continuent de totaliser 70 % des entrées. Pourtant, « John Carter of Mars » n’a eu qu’un succès très mitigé aux Etats-Unis.

 

Guns N' Roses

 

2. Amorce de changement de politique

 

Depuis une dizaine d’années, les autorités chinoises privilégient les grosses productions nationales pour lutter contre l’hégémonie des films américains sur le marché chinois.

 

Constat

 

Confiées de prime abord aux réalisateurs de la cinquième génération qui semblaient les mieux à même de relever le défi de la suprématie américaine, ces réalisations se sont pourtant révélées décevantes, y compris en termes purement économiques : ni le dernier Chen Kaige - « L’orphelin de la famille Zhao » (《赵氏孤儿》) – ni le dernier Zhang Yimou – « Flowers of war » (金陵十三釵)- n’ont répondu aux attentes ; même l’attrait de la 3D n’a pas réussi à faire un franc succès du « Flying Swords of Dragon Gate » (《龙门飞甲》) de Tsui Hark (徐克).

 

An Inaccurate Memoir

 

Seul Jiang Wen a réussi à drainer les foules avec « Let the Bullets Fly » (让子弹飞) : plus de 110 millions de dollars de recettes, le record de toute l’histoire du cinéma chinois.

 

Promotion de la 6ème génération

 

Les autorités chinoises en sont arrivées à considérer qu’il leur faut renouveler totalement leur modèle de production. Elles ont récemment annoncé une offensive promotionnelle des films « de la 6ème génération », ces réalisateurs qui étaient jusqu’ici regardés avec une certaine méfiance parce qu’on leur reprochait de ne pas tenir compte suffisamment des goûts du public et de faire des films sans aucune considération pratique.

 

La volte face rappelle celle réalisée au début des années 2000, quand les réalisateurs jusque là « underground » comme Wang Xiaoshuai et Jia Zhangke ont été incités à rejoindre la production officielle. Et ce fut pour les mêmes raisons : parce que la production nationale s’était réduite à une peau de chagrin à la fin des années 1990 à cause des excès de contrôles et que la fréquentation des salles avait chuté en proportion.

 

Design of Death (affiche promotionnelle)

 

Full Circle, l’équipe du film

 

Le succès du film d’Ann Hui a été un facteur primordial pour accélérer la prise de conscience. Sont maintenant privilégiés les films à petit budget de réalisateurs originaux, aptes à séduire le public jeune qui est désormais le public ciblé.

 

 

Quatre sorties sont ainsi annoncées pour fin avril et début mai :

- le 24 avril : « Guns N' Roses » (《黄金大劫案》) de Ning Hao (宁浩), le réalisateur de « Crazy English », et « An Inaccurate Memoir » (匹夫) de Yang Shupeng (杨树鹏) ;

- le 28 avril : « Design of Death » (杀生) de Guan Hu (管虎) ;

- le 8 mai : le nouveau film de Zhang Yang (张扬) « Full Circle » (飞越老人院).

 

Il va être intéressant de voir les résultats de ces films dans les semaines qui viennent, mais un pas semble être franchi.

 

 

Notes

(1) Voir les statistiques pour l’année 2011 :

http://shanghaiist.com/2012/02/10/infographic_chinas_2011_movie_box_o.php

(2) Sur le système de partage de recettes, voir le mémoire de Zhang Yingzhu (université Lumière Lyon 2, année 2004-2005) :

http://doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/Documents/Etudiants/Memoires/Cyberdocs/Masters/PPGC/zhang_y/pdf/zhang_y.pdf

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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