Accueil Actualités Réalisation
Scénario
Films Acteurs Photo, Montage
Musique
Repères historiques Ressources documentaires
 
     
     
 

Actualités

 
 
 
     
 

« Les âmes mortes » de Wang Bing : un impressionnant document d’histoire orale

par Brigitte Duzan, 22 octobre 2018

 

« Les âmes mortes » (《死灵魂》) de Wang Bing (王兵) est un documentaire de huit heures sorti en première mondiale au festival de Cannes en mai 2018 ; il restera dans les annales comme un monument unique à la mémoire de tous les « ultra-droitiers » envoyés dans les camps de rééducation du Gansu à partir de 1958.

 

Le documentaire est le complément et la suite de celui sur He Fengming (《和凤鸣》) réalisé dix ans auparavant. C’est à partir de ce documentaire que Wang Bing a commencé à rechercher les survivants de ces camps, dont il a retrouvé plus d’une centaine en trois ans, et à aller filmer sur les lieux même où étaient les camps, en essayant de les retrouver malgré l’entreprise systématique d’en effacer les dernières traces.

 

Un huit clos éprouvant

 

Affiche anglaise

  

Les huit heures sont constituées en majeure partie d’entretiens réalisés pour la plupart entre 2005 et 2008, avec une dizaine de survivants de ces camps, essentiellement Jiabangou (夹边沟), et Mingshui (明水), en bordure du désert de Gobi. Quelques-uns sont d’ailleurs décédés depuis lors, ce qui ajoute encore de la valeur à leur témoignage préservé sur la pellicule.

 

Wang Bing et l’un de ses survivants (photo Libération)

 

Le montage a placé en tout début du documentaire des entretiens qui éclairent sur le contexte socio-politique des années 1950 en montrant les raisons de la véritable chasse aux sorcières qui a valu à ces gens d’être condamnés comme droitiers et envoyés en camp en 1958. Le premier témoin, en particulier, dresse un tableau très clair d’où émergent deux points essentiels (voir le 1er extrait ci-dessous) : d’une part, au début des années 1950, le Parti a recruté à tour de bras et en grande partie parmi les anciens soldats du

Guomingdang passés dans la vie civile, d’où  des soupçons d’infidélité au Parti communiste, et d’autre part on a appliqué de manière aveugle le principe de Mao selon lequel il n’y avait que 5 % de mauvais éléments dans l’ensemble du pays – le pourcentage est devenu un standard, ce qui a conduit les responsables de cellules du Parti et d’entreprises à trouver des coupables pour remplir ce « quota »,  même quand il n’y en avait pas, la moindre critique devenant alors chef d’accusation. 

 

Les survivants ont tous des témoignages terribles à raconter, même si certains parviennent à le faire avec un certain humour. En effet, le plus dramatique est que leur internement dans ces camps a coïncidé avec la période de la Grande Famine qui a été particulièrement meurtrière dans le Gansu. C’est à cause de la Grande Famine que la mortalité a été aussi élevée dans ces camps. En fait, on réalise en écoutant ces survivants que, s’ils ont survécu, c’est pour la plupart parce qu’ils travaillaient aux cuisines et pouvaient voler de la nourriture plus facilement que les autres.

 

Les récits sont factuels, déroulés avec le plus grand calme et dépourvus de pathos. C’est sans doute ce qui impressionne le plus : cette volonté de témoigner pour préserver la mémoire de cet épisode monstrueux de l’histoire récente qui est un tabou absolu et risque de disparaître de la mémoire collective avec les derniers survivants.

 

Mais les deux séquences en extérieur sont bien pires.

 

Adieu Jiabangou

 

La première sortie de la caméra hors de l’univers clos des entretiens est pour suivre la dernière dépouille de l’un des survivants récemment décédés, du village jusqu’au sommet de la colline proche où a été creusée sa tombe, dans le sable où s’enfoncent les roues de la charrette emportant le cercueil. Avant que ne démarre la procession funèbre, le fils du défunt prononce un hommage en mémoire de son père, avant de

 

Chen Zonghai, l’un des survivants de Jiabangou

s’effondrer en pleurs. Ce bref rappel de l’absurdité et de l’injustice des souffrances qui ont été infligées au père est d’une intense émotion. L’autre séquence à l’air libre est bien plus éprouvante. 

 

Wang Bing est revenu avec quelques-uns des survivants interrogés sur les lieux où ils ont passé un véritable enfer sur terre – selon les termes de l’un d’eux : à Jiabangou. Il part à la recherche des traces qui restent, effacées par la mise en culture (irriguée) de la zone depuis le début des années 1980. La caméra dévoile une zone encore désertique où des corps ont été enterrés, mais les tumuli ont été détruits pour récupérer la terre, et les os exhumés sont éparpillés sur le sol… Mais ce n’est pas le pire : les anciens du camp ont apporté de quoi faire des offrandes à leurs compagnons morts ; dans ce champ lunaire jonché d’os et de crânes blanchis, ils brûlent en leur mémoire du papier-monnaie et des graines de céréales qui leur ont tant fait défaut, rappelant le brasier final du documentaire de Hu Jie (胡杰) sur la Grande Famine, également au Gansu d’ailleurs : « Spark » (《星火》) … Cette séquence est insoutenable et c’est du grand art documentaire.

 

Un autre survivant

 

On a comparé le film de Wang Bing à « Shoah » de Claude Lanzmann et à « L’Archipel du Goulag » d’Alexandre Soljenitsyne [1]. Par son parti-pris de distanciation et de froide neutralité vis-à-vis de son sujet, Wang Bing dépasse en émotion et en intensité ces deux œuvres magistrales. Le réquisitoire est implacable même s’il reste surtout du domaine de l’allusion.

 

Le film sort le 24 octobre sur les écrans français, en trois parties. Lors de l’avant-première du film au Centre Georges-Pompidou le dimanche 21 octobre 2018, Wang Bing a annoncé qu’il s’agit en fait seulement de la moitié d’un gigantesque projet dont il lui reste à réaliser la deuxième partie.

 

Bande annonce française

 

Extrait du début (ss-titres anglais)

 

L’enterrement (sous-titres anglais)

 

Autre extrait (sous-titres anglais)

 

 

 


 

[1] A la suite de la projection du documentaire au festival de Cannes.

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Qui sommes-nous ? - Objectifs et mode d’emploi - Contactez-nous - Liens

 

© ChineseMovies.com.fr. Tous droits réservés.

Conception et réalisation : ZHANG Xiaoqiu