80ème
anniversaire de la Longue Marche, nouveau film, même mythe :
« The Warriors »
par Brigitte Duzan, 28 octobre 2016
2016 marque le 80ème anniversaire de la
Longue Marche (长征),
qui s’est achevée officiellement en octobre 1936 à
Huining (会宁),
dans le Gansu. C’est là que les éléments dispersés
de l’Armée rouge ont opéré leur jonction finale
après les quelques 12 500 kilomètres de leur odyssée
depuis le Guangxi, qu’ils avaient quitté deux ans
auparavant, le 15 octobre 1934
[1].
On ne sait
trop exactement combien sont partis, cent à deux
cent mille hommes, mais on sait qu’il n’en est
arrivé qu’un petit groupe de quelque 30 000. Les
rangs ont été décimés par la longueur et la dureté
du terrain à parcourir, hautes montagnes, marécages
et fleuves, par la faim, les maladies et les
attaques diverses, de bandits, chefs de guerre et
autres, outre celles du Guomingdang
[2].
La Longue Marche est un exploit, c’est aussi le
mythe fondateur de la République populaire. C’est là
que Mao s’est affirmé comme le chef du mouvement
communiste chinois. C’est là
The Warriors
(avec l’image
symbolique des chaînes du pont de Luding)
que se sont illustrés les grands responsables politiques du
Parti.
Symbole de la chaîne
La Longue Marche est aussi un exploit idéologique : celui
d’avoir transformé une retraite en victoire triomphale, et
d’en célébrer l’esprit depuis lors.
C’est cet esprit que le nouveau film s’attache à
célébrer. Il a été coproduit par le studio de
l’armée, le Studio du 1er Août, et China
Film, bras idéologiques du pouvoir, et réalisé par
le grand spécialiste du film de guerre au Studio du
1er août,
Ning
Haiqiang (宁海強).
Le titre ? « The Warriors » (《勇士》).
Il n’est plus question de Longue Marche. Ce dont il
est question, c’est de l’esprit de la Longue
Marche, esprit indomptable de résistance à
l’adversité qui finit par faire triompher même dans
les circonstances les plus difficiles, et au prix
d’énormes sacrifices. C’est l’esprit célébré par Mao
dans son célèbre poème :
(红军不怕远征难,万水千山只等闲。…).
L’acteur principal, Li
Dongxue
L’Armée rouge ne craint pas les difficultés
d’un si long
périple,
Alors que l’attendent les périls de
dix-mille montagnes,
mille fleuves à franchir…
Les « braves »
Le film est basé sur un épisode célèbre, un mythe
dans le mythe : la traversée par une petite
vingtaine d’hommes, sous un feu nourri, du pont de
Luding (泸定桥),
un pont suspendu au-dessus de la rivière Dadu dont
l’ennemi – des chefs de guerre qui tenaient la ville
de Luding - avait enlevé la plupart des planches et
dont il ne restait pratiquement que les chaînes.
Situé dans la préfecture autonome tibétaine de
Garzè, c’était un passage stratégique – obligé -
entre le Tibet et le Sichuan
[3].
Le titre est révélateur du message du film : tandis
que le titre international est assez neutre, mais
renvoie à l’exploit humain, le titre chinois insiste
bien sur l’audace, la bravoure (勇),
on pourrait le traduire par « Les braves ». On peut
remarquer qu’on les aurait en d’autres temps
qualifiés de héros (英雄),
mais aujourd’hui le terme fait peut-être trop
obsolète, et idéaliste. Les idéaux, aujourd’hui,
sont plus pragmatiques.
La traversée du pont
de Luding
Le box-office sera certainement tout aussi triomphal que la
prise du pont.
Trailer
[1]
Une première jonction avait eu lieu en juillet 1935,
avec la quatrième armée de route venue du Henan,
mais des dissensions sur la suite des opérations à
envisager séparent les deux armées. Officiellement,
la première jonction a eu lieu un an auparavant, le
19 octobre 1935, à Wuqi, dans le Shaanxi. Cette date
est parfois donnée comme fin de la Longue Marche. Il
faut tenir compte du symbolisme de ces dates.
[2]
Il faut y ajouter les désertions, comme le montre le
livre de
Sun Shuyun (孙书云) :
The Long March
: The True History of Communist China's Founding
Myth,
Harper Collins 2006.
[3]
La victoire de ce petit bataillon contre des forces
locales supérieures en nombre serait due à un
avantage en termes d’armement et de munitions, comme
l’a montré un film réalisé en 1980 sur la base de
recherches faites après la Révolution culturelle :
« La rivière Dadu » (《大渡河》).