« The Last
Woman Standing » : après Guo Jingming, Luo Luo fait du
cinéma
par Brigitte Duzan, 10 novembre 2015
Le 6 novembre dernier est sorti sur les écrans
chinois un film qui n’a eu qu’un succès très relatif
au box-office et qui est loin d’être un chef
d’oeuvre, mais qui continue à faire parler de lui :
« The Last Woman Standing » (《剩者为王》).
La première raison de l’intérêt qu’il suscite vient
de ses interprètes, et tout particulièrement
Shu Qi
(舒淇)
dans le rôle principal. Mais il tient aussi à son
sujet et à la réalisatrice, les deux étant liés.
Un sujet de société d’actualité
Réalisé par la jeune romancière Luo Luo (落落)
[1],
le film est adapté de son propre best-seller, publié
en janvier 2011 : « Queen Stain » (《剩者为王》).
Elle y raconte les états d’âme d’une jeune femme qui
a dépassé la trentaine, Sheng Ruxi (盛如曦),
brillante dans sa carrière professionnelle, mais
toujours
Le film, « The Last
Woman Standing »
célibataire. Le film, cependant, n’est pas un drame, il est
annoncé comme une comédie romantique : Ruxi tombe amoureuse
d’un jeune garçon de dix ans son cadet qui travaille avec
elle, et tout se termine par un mariage, sinon en chanson.
Tout le monde est ravi, les parents les premiers.
Luo Luo
De façon significative, le film a été produit par
Teng Huatao (滕华涛),
le réalisateur de
« Love
Is Not Blind » (《失恋33天》)
qui traitait du même sujet, avec beaucoup d’humour
et de finesse, sans happy end banal. Comme
« Love
Is Not Blind »aussi, « The
Last Woman Standing » est sorti pour cette fête très
spécifique souvent présentée comme un équivalent
chinois de la Saint-Valentin, mais qui est en fait
la Fête des célibataires, ou Guanggunjie (“光棍节”)
– le jour de l’année qui, en Chine, représente le
meilleur chiffre d’affaires pour les commerçants.
Etonnamment, le problème des hommes non mariés est
rarement abordé au cinéma
[2],
en revanche le thème traité au féminin revient
régulièrement sur les écrans depuis plusieurs
années. Il recoupe en effet un autre problème de
société, qui n’est plus seulement social, mais aussi
psychologique : celui des jeunes femmes engagées
dans une vie professionnelle
active et
gratifiante (à tous les sens du terme), mais déçues dans
leur vie affective ; restées célibataires, elles sont
qualifiées de sheng nü (剩女) :
celles qui restent (sous-entendez : sur le carreau, avec
l’idée latente de rejet, de mise à l’écart).
Le message du film est lénifiant, le sujet l’est moins. Il
rejoint un complexe féminin amplifié par les tensions
familiales et le regard des proches, devenu problème de
société.
Une comédie romantique ciblée
Le film
est intéressant à cet égard, non pour sa valeur
intrinsèque, en dépit de son interprétation
[3].
Mais il est aussi intéressant pour ce qu’il révèle
des enjeux commerciaux et financiers liés à un
marché de jeunes adultes qui sont les premiers
consommateurs de ce genre de produit.
Ecrivain à succès, Luo Luo est l’un des auteurs
vedettes – post-80 (“80后”的作者)
- de l’écurie de Guo
Jingming (郭敬明).
Elle publie régulièrement des textes dans sa revue
littéraire Zui Novel (《最小说》),
revue phare de la littérature pour les jeunes (青春文学)
où elle anime une rubrique spéciale, « Voir un cerf
au plus profond du bois » (《树深时见鹿》).
Elle collabore aussi à la revue de manhua qui
lui est liée, Zui Manhua (《最漫画》),
qui, après avoir été publiée séparément, est
redevenue un supplément de Zui Novel.
Son film « The Last Woman Standing » est donc à
replacer
Le livre, Queen Stain
dans ce contexte, éminemment commercial et ciblé. Guo
Jingming semble en avoir terminé avec la saga des « Tiny
Times » (《小时代》)
qui a été adaptée en une série de quatre films et alimente
d’anecdotes de tournage une rubrique spéciale de Zui
Novel – juste avant celle de Luo Luo : « Journal d’un
réalisateur » (《导演日记》).
Luo Luo prend le relais, en changeant légèrement de classe
d’âge et de sujet, pour investir une niche de marché
complémentaire de celle des jeunes de « Tiny Times ». Ce
n’est pas entièrement nouveau : elle s’adresse au même
public, grosso modo, que le « Go Lala » (《杜拉拉升职记》)
de Xu
Jinglei (徐静蕾)
et autres comédies pour jeunes branchés du même genre où le
personnage central est aussi une professionnelle aux prises
avec des problèmes sentimentaux.
Shu Qi et Eddie Peng
dans les rôles de Ruxi et Ma Sai
Luo Luo,
cependant, traite le sujet sous un angle plus social
qu’individuel. Le problème vient du fait, sans
doute, qu’elle y met trop d’elle-même (comme l’a dit
Shu Qi lors d’une interview, Ruxi, ce n’est pas
moi, c’est Luo Luo
[4]
). Mais le film est à replacer dans la lignée des « Tiny
Times » : une entreprise ciblée pour toucher un
créneau de marché porteur sur un sujet d’actualité.
L’essai n’est que partiellement transformé.
Pourtant, le triste sort des veuves a inspiré nombre
de chefs d’œuvre du cinéma chinois,
celui des femmes seules dans la société moderne pourrait
sans doute en inspirer autant. Avec le recul et le talent
nécessaires.
The Last Woman Standing :
Bande annonce
Trailer 1
Trailer 2
[1] Sur
Luo Luo, voir :
chineseshortstories, à venir…
[3]
Shu
Qi (舒淇)
dans le rôle de Ruxi, Eddie Peng (彭于晏)
dans celui de son jeune amoureux, Ma Sai (马赛),
Pan Hong (潘虹)
dans le rôle de la mère de Roxi, Lynn Hung (熊黛林) et Hao Lei (郝蕾)
dans celui de ses meilleures amies.
[4] Mais
la ressemblance entre la réalisatrice et l’actrice
dans le film est frappante…