« Les
Célestes » : un film sur les travailleurs chinois en France
pendant la Première Guerre mondiale
par Brigitte Duzan, 29 avril 2015
La société de production Bayoo Productions annonce
un film dont la date de sortie n’est pas encore
connue, mais qui suscite dès l’abord beaucoup
d’intérêt : « Les Célestes » (《天朝之子》),
littéralement ‘les fils de l’empire céleste’. Le
film a fait partie de la sélection du
Hong Kong-Asia Film Financing Forum
(HAF)
du Festival international de cinéma de Hong-Kong,
fin mars 2015.
Ces "Célestes" sont les travailleurs chinois venus
soutenir l’effort de guerre des Alliés en France à
partir de 1917. Il aura fallu cent ans pour que l’on
commence à évoquer leur mémoire et à leur rendre
hommage.
Les faits historiques
A partir de 1917, 140 000 travailleurs chinois –
dont 100 000
Travailleurs chinois
en 1917
recrutés par le Royaume-Uni - sont partis en France poursoutenir
l’effort des Alliés en palliant le
manque de main-d’œuvre masculine, décimée sur le front. Le
gouvernement chinois a appuyé la
Des travailleurs
chinois à Saint-Fons (69)
demande des autorités françaises en pensant que ces
hommes lui vaudraient la reconnaissance des Alliés
et le droit de récupérer les territoires chinois
contrôlés par les Allemands avant la guerre.
Ces malheureux fuyaient la misère et espéraient
pouvoir trouver ainsi un avenir meilleur ; mais ce
qu’ils ont trouvé, c’est un pays ravagé par la
guerre et des combats violents. Ils n’ont pas
participé directement aux combats, mais on leur a
fait, entre autres, nettoyer les champs de bataille.
Ils ont, dans l’ensemble, été traités en parias.
On dit que
certains sont devenus fous. Près de 30 000 sont
morts, une partie d’entre eux emportés par la
maladie et en particulier l’épidémie de grippe
espagnole qui a sévi à partir de la mi-septembre
1918. On ne connaît pas le chiffre exact des
disparus. Ils sont enterrés dans des fosses communes
et dans des cimetières du Nord de la France, le plus
important étant celui de Noyelles
[1].
Après l’Armistice, les survivants ont également
contribué à la reconstruction de la France, jusqu’en
1921 : ils avaient des contrats de trois ans.
Certains ont ainsi été embauchés
Travailleurs chinois
employés dans les usines
du Poitou-Charente
après l’armistice
dans des usines, un peu partout, d’autres ont travaillé dans
des fermes, à la campagne.
Cheminots chinois dans
la Creuse en 1918
La plupart de ces travailleurssont ensuite rentrés
en Chine, mais quelques milliers ont choisi de
rester en France, et s’y sont établis. Ils
constituent la première vague d’émigration chinoise.
Triste ironie du sort, leur sacrifice aura été vain
et passé sous silence. En 1921, les territoires
chinois sous contrôle allemand avant la guerre
furent concédés au Japon par la clause 156 du traité
de Versailles,
à l’issue de la Conférence de paix de Paris. Ce camouflé
diplomatique a entraîné un sursaut nationaliste en Chine et
le mouvement dit du 4 mai (五四运动),
suivi du mouvement de la Nouvelle Culture : c’est une
révolution dans les esprits et le début de la Chine moderne
[2].
Cette
participation chinoise à la guerre est encore
largement méconnue du grand public tant en France et
en Europe qu’en Chine et dans le reste du monde.
Mais, à l’occasion du centenaire du début des
combats, des travaux de recherche ont été publiés et
des documentaires réalisés. Le principal ouvrage,
désormais œuvre de référence sur le sujet, est celui
publié en 2012 aux éditions du CNRS sous la
direction de l’historienne et sinologue Li Ma,
maître de conférences à l’Université du Littoral
Côte d’Opale [3].
Travailleurs chinois
célébrant la Fête du Printemps en 1918
Le film
Li Ma
Le film est une initiative de la société de
production Bayoo Productions, sur une idée originale
de son directeur général Yves Cresson et deux de ses
collaborateurs, Didier Denise et Wang Fanghui (王方辉),
un producteur, scénariste et réalisateur d’origine
chinoise, diplômé de l’Institut du cinéma de Pékin
et de Paris 1.
Bayoo Productions est une société de production
française créée en 2000 et spécialement dédiée au
développement de productions franco-chinoises. La
société a accompagné les premiers tournages chinois
de fiction en France, mais elle s’est surtout
spécialisée, ces dernières années, dans les
tournages de séries télévisées grand public – en
particulier des séries adaptées des mélos de la
romancière taïwanaise Chiong Yao (琼瑶).
Le réalisateur, Gabriel Le Bomin, également
scénariste, est, lui, spécialisé dans le
documentaire historique, avec une thématique centrée
sur les conflits. En effet, s’il a d’abord étudié,
au début des années 1990, dans l’école italienne de
cinéma, Ipotési Cinéma, fondée et dirigée à Bologne
par Ermanno Olmi, il a ensuite intégré le service
cinématographique des armées (ECPA) ; il y a acquis
une expérience de la réalisation de documentaires
historiques, en particulier sur les guerres car il
avait accès aux archives des documents sur les deux
guerres mondiales, mais aussi sur les guerres
d’Indochine, d’Algérie, du Rwanda et autres.
Il a aussi
réalisé des films de fiction, mais sur des scénarios
qui ne s’éloignent guère de son sujet ; ainsi, son
premier long métrage, « Les Fragments d’Antonin » en
2006, traite des blessures psychiques et
traumatismes laissés par la Première Guerre mondiale
[4].
Gabriel Le Bomin
(photo Unifrance)
C’est donc, a priori, un choix judicieux pour un film sur
les travailleurs chinois en France pendant la Première
Guerre mondiale. Ce qui suscite quelques doutes et
réticences, c’est le synopsis annoncé, qui débute comme une
fiction. Il reste à voir comment est conduit le scénario.
Quoi qu’il en soit, le film bénéficie des recherches faites
sur le sujet. Ce sera certainement une nouvelle étape, plus
grand public, sur la voie d’une reconquête de la mémoire
historique d’un épisode injustement méconnu de la guerre de
14.
A voir en complément :
Le documentaire britannique China
on the Western Front :
[1]
Sur le sujet, voir l’ouvrage de
Catherine Costanza :
Les Oubliés de Nolette, en
hommage aux travailleurs chinois de Noyelles-sur-Mer
1916-1921, éditions Strapontins, juin 2013 :
Voir aussi l’interview d’André Fernandez :
Les travailleurs chinois en France pendant la
Première guerre mondiale, Chine au présent, janvier
2015, pp 48-51.