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« Le dernier loup » : le plus chinois de tous les mélos chinois

par Brigitte Duzan, 04 mars 2015

 

Le 25 février est sorti sur les écrans français le film de Jean-Jacques Annaud rebaptisé en France « Le dernier loup », qui s’appelle partout ailleurs « Le Totem du loup », y compris en Chine (《狼图腾》) ; il est en effet adapté, comme tout le monde le sait maintenant, du bestseller éponyme dont la traduction en français a été rééditée pour l’occasion.

 

Le film suit grosso modo l’histoire du roman, mais avec des modifications telles que d’une partil en édulcore la critique politique, et d’autre part il en gomme tout ce qui en faisait un roman à thèse sur l’esprit du loup comme modèle d’initiative et de combattivité donné au peuple chinois [1].

 

La trame du roman

 

L’histoire est celle d’un « jeune instruit », Chen Zhen, qui se porte volontaire pour partir en Mongolie intérieure en 1967, au début de la Révolution culturelle. Sous la conduite d’un

 

Affiche chinoise

vieux pasteur qui symbolise toute la sagesse ancestrale mongole, il découvre là une nature sauvage et un peuple qui l’enthousiasme par sa liberté ; mais ce qui le fascine surtout, ce sont les loups, omniprésents, qui sont respectés comme faisant partie de l’écosystème ; ils sont pourchassés, mais sans excès car ils contribuent à l’équilibre naturel de la prairie.  

 

Mais Chen Zhen est tellement fasciné qu’il prend des risques pour capturer un jeune louveteau et l’élever, au grand dam des Mongols, mais avec l’approbation du chef de brigade (chinois), car Chen Zhen invoque Mao : il faut apprendre de l’expérience ; donc élever le louveteau est une étude utile pour lutter contre ces animaux, car il s’agit de mieux les connaître. Il s’ensuit évidemment une série de catastrophes, jusqu’à ce que le louveteau soit relâché dans la nature [2].

 

Un mélo sur l’amour d’un jeune Chinois pour un louveteau

 

Si la trame du roman est conservée, le scénario tisse cependant une histoire totalement différente.

 

Plus de Révolution culturelle

 

Autre affiche

 

Il ne s’agit plus de raconter les aventures d’un jeune instruit pendant la Révolution culturelle. Celle-ci n’est pas mentionnée ; il n’est pas question non plus, comme le voulait le but du mouvement, que ces jeunes se forment au contact des paysans ; ils débarquent joyeusement dans la prairie mongole pour « enseigner les caractères aux Mongols illettrés », c’est-à-dire avec une mission civilisatrice. Et quand ils repartent, ce n’est pas parce que Mao est mort et que la Révolution culturelle est finie, mais parce que, d’une manière ou d’une autre, ils ont terminé leur mission, et qu’il « est temps qu’ils rejoignent leurs foyers ».

 

On a le même traitement édulcorant de la Révolution culturelle que dans le film de Zhang Yimou « L’amour sous l’aubépine » (《山楂树之恋》) où, comme dans « Le dernier loup », c’était la période dorée des émois adolescents, revus a posteriori avec une douce nostalgie. D’ailleurs, pour quiconque a vu le film de Zhang Yimou, il est impossible de ne pas y songer car

c’est le même acteur qui tenait le rôle principal dans « L’amour sous l’aubépine » qui interprète l’ami de Chen Zhen dans « Le dernier loup » : Shawn Dou (窦骁).

 

 

Affiche avec les personnages principaux

 

 

Plus d’esprit du loup, place à l’écologie

 

Exit également ce qui était l’ossature du roman : le message sur l’esprit du loup comme modèle de liberté et de combattivité pour la société chinoise actuelle. Il n’en reste que le « totem » qui flotte au-dessus de la yourte du vieux Bilig : une peau de loup au bout d’une perche. Mais ce point du roman a été suffisamment critiqué pour ses aspects belliqueux et contesté par divers écrivains et chercheurs mongols comme étant

 

Le départ, en 1967

étranger à la culture mongole pour que réalisateur et scénaristes du film n’aient pas souhaité le conserver. Il est en outre contraire à l’idéologie du pouvoir qui prône avant tout l’harmonie.

 

Le message du film est devenu essentiellement écologique, ce qui explique le changement de titre en français : il fait apparaître la culture mongole comme garante de l’équilibre naturel de son écosystème, et le loup comme l’un des éléments de cet équilibre où chaque animal a sa place, aux côtés de l’homme.

 

La yourte

 

Le roman critique la destruction de cet équilibre par les colons chinois han, avec leurs projets de mise en culture de terres fragiles qui ne sont pas faites pour cela. Dans le film, cette critique existe, mais elle est déviée : ce ne sont plus les Han qui sont les intrus cultivateurs, mais d’autres Mongols, venus de terres plus à l’est qu’ils ont épuisées par une culture trop intensive. Tout se résume alors à une lutte entre clans mongols, nomades éleveurs de moutons et sédentarisés agriculteurs.

 

D’ailleurs, le seul personnage féminin du film, qui a perdu son mari une nuit de tempête où les loups ont attaqué, est promise, en secondes noces, à un Mongol du « clan de l’est » pour sceller une alliance entre frères ennemis.

 

Ce personnage n’existe pas dans le roman. Le film a en fait transformé le roman en mélodrame, dans la plus pure tradition chinoise.

 

Un double amour contrarié

 

Le jeune Chen Zhen est dévoré par sa passion pour le louveteau, qu’il est allée chercher dans l’antre des loups au péril de sa vie… mais en condamnant au passage le reste de la portée. Il ne vit plus, désormais, que pour l’animal, qu’il nourrit avec sa portion quotidienne de viande – provenant, soit dit en passant, de gazelles tuées par les loups et qui leur ont été dérobées, si bien que, affamés, ceux-ci reviendront s’attaquer aux moutons et aux hommes.

 

Plus discret est son amour pour la jeune Mongole dont le mari succombera lors de l’attaque des loups la fameuse nuit de

 

Chen Zhen et le petit loup

tempête qui donne le morceau de bravoure du film. Il lui déclare sa flamme alors qu’il s’est fait mordre par son loup et qu’elle le soigne, mais elle le repousse. Ce n’est qu’à la fin du film qu’elle relâche sa résistance, mais sans conséquence puisque les jeunes instruits repartent peu après. 

 

Shawn Dou

 

Quant au petit loup devenu grand, alors que la horde a été décimée par les chasseurs han en jeep, il est relâché par la femme parce que son père a été tué, et qu’elle « doit une vie » à leur divinité tutélaire. On se demande pourquoi elle ne l’a pas fait plus tôt… si ce n’est que cela aurait empêché la séquence où l’animal mort son fils, qui constitue un élément du mélo car l’enfant est grièvement blessé. Mais il s’en sort grâce à la pénicilline qu’est allé chercher Chen Zhen à la ville, à bride abattue…

 

Mais finalement, comme dans tout mélo chinois qui se respecte, tout est bien qui finit bien, malgré l’hécatombe des loups et la mort du vieux Bilig : l’enfant est sauvé et le petit loup retrouve la liberté, alors qu’il meurt dans le roman [3]. La musique ne fait que rajouter à l’atmosphère.

 

Un mémo chinois réalisé par un Français

 

Il s’agit donc d’un mélo typiquement chinois, qui, de façon tout aussi typique, offre une relecture orientée d’un roman qui n’a échappé à la censure qu’en raison de son incroyable succès.

 

Le plus étonnant, cependant, est que ce mélo a été réalisé, dans le cadre d’une coproduction franco-chinoise, par un réalisateur français invité par China Film, et pas n’importe lequel : le spécialiste des films avec des animaux, depuis « L’ours » en 1988, mais aussi un cinéaste qui s’était fait bannir de Chine pour avoir réalisé un film faisant intervenir le dalailama : « Sept jours au Tibet ». China Film lui a fait un pont d’or, toute rancune oubliée.

 

Et c’est très astucieux. Il était primordial de ne pas laisser quelqu’un d’autre empocher les bénéfices de l’adaptation du best-seller de Jiang Rong. Mais surtout il était important que le

 

Marka

film soit réalisé en gommant les aspects du roman les moins acceptables pour les autorités chinoises. La solution du mélo s’imposait pour attirer le public chinois et, en le faisant pleurer, lui faire oublier le reste, le non-dit, l’escamoté, comme pour « Un amour sous l’aubépine » et tous les films du même genre ; c’est une grande spécialité du cinéma chinois.

 

Les acteurs principaux, avec l’actrice Ankhnyam Ragchaa,

lors de la sortie du film à Pékin

 

Faire réaliser par un Français « gracié » pour l’occasion un mélo aussi chinois et aussi historiquement lacunaire est un coup de génie. S’il faut féliciter quelqu’un pour ce film, c’est d’abord China Film.

 

On voit ainsi se profiler des coproductions franco-chinoises qui finissent par être plus chinoises que les films les plus chinois, l’exemple précédent étant « Le Promeneur d’oiseau » de Philippe Muyl, choisi pour représenter la Chine aux Oscars !

 

On attend la prochaine avec curiosité….

 

 

Bande Annonce VF

 

 


 

[2] Pour un descriptif plus détaillé du film et de ses conditions de tournage, on se reportera à la critique de Thomas Sotinel et au reportage de Brice Pedroletti et François Bougon dans Le Monde daté du 25 février, ainsi qu’à l’article de Bertrand Mialaret pour Rue89 :

http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2015/02/28/dernier-loup-avant-film-dannaud-y-a-livre-controverse-257969

[3] On ne peut exclure, non plus, un aspect de fable à la Disney dans certaines images des loups, en particulier celles où ils sont filmés hurlant sur fond de lune ; cela rappelle aussi les images de « L’ours ».

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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