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L’opéra du Sichuan ou Chuanju 川剧

par Brigitte Duzan, 20 novembre 2019

 

L’opéra du Sichuan ou chuanju (川剧) est l’une des plus anciennes formes d’opéra traditionnel chinois : opéra du sud-ouest qui a évolué sous la dynastie des Qing en combinant cinq styles différents, il a connu des périodes d’essor au début du vingtième siècle, au début de la République populaire, puis après la Révolution culturelle, mais se trouve aujourd’hui confronté, comme les autres opéras régionaux chinois, à l’évolution des modes de vie et des goûts du public.

 

I. Histoire

 

Origines anciennes

 

Les origines de cet opéra sont très anciennes. On trouve des références à des chants et danses du Sichuan dès la période des Royaumes combattants (période précédant l’unification de l’Empire par le Premier Empereur). Il faut cependant attendre la période des Trois Royaumes (三国时), au 3ème siècle de notre ère, pour trouver une référence à la première pièce satirique, « La Controverse » (Fèn zhēng《忿争》) qui est l’ancêtre des nombreuses comédies caractéristiques de l’opéra du Sichuan. Pendant cette période, après la partition de l’empire à la suite de la chute de la dynastie

 

Le royaume de Shu-Han pendant

la période des Trois Royaumes

des Han de l’Est en 221, Liu Bei fonda le royaume de Shu-Han (蜀汉, 221-263) couvrant certaines parties du Sichuan actuel ainsi que du Guizhou et du Yunnan, avec Chengdu pour capitale. L’aire d’implantation du chuanju s’étend sur toute cette région. 

 

Des Tang aux Ming et aux Qing

 

Pendant la dynastie des Tang, une troupe de cinq chanteurs et musiciens est venue à Chengdu et y a formé une première troupe d’opéra local. Pendant les périodes Song et Yuan, le répertoire s’est développé avec des pièces musicales de genre zaju (川杂剧).

 

Sous la dynastie des Ming, une troupe de « théâtre Chuan » (川戏) est allé jusque dans le Jiangsu et a remporté un grand succès à Nankin. Cependant, à la fin de la dynastie, le Sichuan a été dévasté par une rébellion paysanne venue du nord. Après avoir envahi la région, le chef des rebelles y établit une dynastie éphémère et, face à la résistance des élites locales, massacra une grande partie de la population ; ceci, joint aux troubles de la période de transition entre les dynasties Ming et Qing, entraîna une chute dramatique de la population, et, pour y remédier, le transfert massif de populations des provinces voisines, Hubei et Hunan, mais aussi de provinces plus lointaines.

 

Ces migrations ont eu des conséquences sur l’opéra en provoquant un apport de différents styles qui se sont alors combinés avec les styles locaux en adoptant le dialecte du Sichuan au fur et à mesure que les populations s’assimilaient. Au 18ème siècle, pendant les règnes des empereurs Yongzheng (雍正帝) et Qianlong (乾隆帝), l’opéra du Sichuan a ainsi intégré ces styles venus d’ailleurs en donnant :

-    le gaoqiang (高腔) issu du style yiyang caractérisé par des chants dans des tessitures très élevées, originaire du Zhejiang et des régions proches du nord du Fujian et de l’est du Jiangxi ;

-    le kunqiang (昆腔) issu du kunqu, opéra raffiné originaire du Jiangsu, introduit au Sichuan en 1653 par une troupe ;

-    le huqinqiang (胡琴腔) venu du Henan et du Hebei, dont le nom indique que l’orchestre est dominé par les cordes, le huqin étant un instrument proche de l’erhu ;

-    et le tanqiang (弹腔) ou tanxi (弹戏) venu du Shaanxi,

-    à quoi il faut ajouter le théâtre de marionnettes et d’ombres dengdiao (灯调), le seul à être originaire du Sichuan, dérivé de rituels chamaniques destinés à exorciser les mauvais esprits ou à s’assurer de bonne récoltes.

 

Essor au début du 20ème siècle

 

Kang Zilin dans le rôle de Wang Kui 王魁

de l’opéra Qing Tan 《情探》,

dans les années 1920

 

L’opéra du Sichuan a connu un nouvel essor au début du 20ème siècle sous l’égide d’un chanteur nommé Kang Zilin (康子林) à la tête de la compagnie Sanqing (三庆会), c’est-à-dire « les trois célébrations », établie à Chengdu au début de la République, en 1912. Avec les membres de sa troupe, il a réalisé une réforme de l’opéra en unifiant les cinq styles, tout en gardant les mélodies de chacun ainsi que leurs traits spécifiques.

 

Après 1949, le chuanju a connu une nouvelle période faste. On a recherché les pièces du répertoire et, sur les quelques 350 répertoriées, plus d’une centaine ont été publiées. En 1952, une délégation d’opéra du Sichuan s’est rendue à Pékin pour participer à la Première Conférence nationale pour l’étude de l’interprétation de l’opéra (第一届全国戏曲观摩演出大会).

 

Comme toutes les autres formes régionales d’opéra traditionnel chinois, l’opéra du Sichuan a connu une éclipse pendant la Révolution culturelle. Plus d’une centaine de

troupes ont été dispersées. Les acteurs, les directeurs de troupe et les dramaturges ont été étiquetés « esprits maléfiques de monstres et de serpents » (牛鬼蛇神), envoyés à la campagne dans des équipes de réforme par le travail et persécutés. 

 

Mais c’est l’un des premiers opéras régionaux à avoir été relancé au début de la période de réforme et d’ouverture, à partir de 1978. L’école de l’opéra du Sichuan a rouvert ses portes, rebaptisée Institut de recherche sur l’art du chuanju (四川省川剧艺术研究所). En 1980 a été lancée la revue « L’art du chuanju » (《川剧艺术》). En même temps, le Sichuan a mis en œuvre des mesures visant à lutter contre la désaffection du public, et en particulier des jeunes ; une réforme a été lancée dès 1982 pour donner une nouvelle

 

1952, représentation de l’opéra Qiujiang 《秋江》

vie à cet opéra, tout en restant fidèle à sa tradition.

 

Représentation d’un opéra avec marionnettes

 

Cependant, c’est maintenant l’évolution des modes de vie et l’urbanisation croissante qui menacent son avenir, en entraînant la disparition des troupes qui en assuraient la survie. C’est un mouvement quasiment inéluctable, lié à la disparition progressive des personnes âgées qui étaient les plus ardents amateurs et défenseurs de cet art ancien [1].

 

Le chuanju continue pourtant à rester vivant, en particulier à Chengdu qui en

est le berceau. Il a été inscrit dans la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

 

II. Caractères généraux et traits spécifiques

 

Répertoire et représentations

 

Le chuanju a un vaste répertoire traditionnel dont les sources remontent aux chuanqi des Tang [2], histoires qui elles-mêmes reprennent des anecdotes remontant aux Han et aux Trois-Royaumes. Cet opéra est célèbre en particulier pour ses comédies, dans une langue dialectale vive, colorée et pleine d’humour. Il y a quelque six mille titres dans le « Dictionnaire des pièces du répertoire du chuanju » (《川剧剧目典》) publié en 1999, mais il n’y en a qu’une centaine qui sont couramment représentées. La plupart font partie des 116 publiées après 1949, mais il y a aussi quelques pièces modernes.

 

Les percussions jouent un rôle important dans la musique : gongs, tambours de toutes sortes et tailles, et même des cymbales. De manière originale, les percussions peuvent être utilisées pour imiter des bruits : de l’eau qui coule, le choc d’un crâne, la pluie qui tombe, l’impact d’objets lourds…

 

Le dictionnaire des pièces

du répertoire du chuanju

 

Les représentations intègrent des jeux de masques et toute une gestuelle spécifique, stylisée, remontant aux origines populaires de l’opéra. Il comporte quatre styles ou écoles

-          L’école Chuanxi (川西派), autour de Chengdu, dans le centre du Sichuan, où domine le

           gaoqiang 

-          L’école de la rivière Ziyang (资阳河派), dans un style plus sévère ;

-          L’école Chuanbei (川北派), dans le nord de la province,

-          L’école Chuandong (川东派) dans l’est, autour de Chongqing, où domine le style huqin.

 

L’une des principales spécificités de l’opéra du Sichuan est de ne pas avoir de visages peints comme dans la plupart des autres opéras chinois. Le rôle de jing () associé au visage peint hualian (花脸) n’existe pas, de même que les rôles de chou () aussi appelés xiao hualian (小花脸) ou « petits visages peints ». Il existe seulement quelques rôles qui comportent une ébauche de visage peint, surtout sous la forme d’une tache blanche au milieu du visage, dénotant un personnage fourbe ou mauvais.

 

Les visages peints sont en fait remplacés par le bianlian.

 

Le bianlian

 

Le bianlian (变脸), littéralement « changement de visage », est l’un des traits caractéristiques de l’opéra du Sichuan, le plus spectaculaire, donc le plus connu, fondé sur l’effet de

 

Exemple de maquillage

surprise. Il s’agit en fait d’un changement de masque en une fraction de seconde, le temps pour l’acteur de se retourner ou de se cacher le visage de sa manche.

 

Un ‘petit visage peint’

 

Cet art remonterait au règne de l’empereur Qianlong, dans la deuxième moitié du 18ème siècle. Il aurait son origine dans une pièce qui racontait l’histoire d’un bandit au grand cœur qui volait les riches pour aider les pauvres ; sur le point d’être capturé par la police de l’empereur, il « changeait de visage » pour échapper à ses poursuivants. 

 

Au début, comme la couleur du visage a, dans l’opéra chinois, un aspect symbolique caractérisant le caractère, voire l’humeur 

du personnage interprété, les acteurs en changeaient pendant les représentations en soufflant dans des bols emplis de poudre colorée ; leur visage ayant été huilé, la poudre adhérait facilement. Une autre méthode consistait à se passer sur le visage une pâte colorée cachée dans la paume de la main.  

 

La méthode fut ensuite perfectionnée : dans les années 1920, les acteurs commencèrent à utiliser des masques de papier huilé extrêmement fins qu’ils se mettaient en couches sur le visage et enlevaient très vite, l’un après l’autre, selon le déroulement de l’action. Aujourd’hui, les masques sont en soie peinte.

 

Si le bianlian est très connu, parce qu’il a souvent été un spectacle de foire, donné dans les villages [3], et qu’il tend

 

Masques de bianlian

aujourd’hui à devenir un numéro de music-hall, un autre trait spécifique de l’opéra du Sichuan l’est moins : ce qu’on appelle « le troisième œil ». 

 

Le troisième œil

 

Comme les autres opéras traditionnels chinois, le chuanju a conservé des traces des rituels magiques des anciennes religions agraires, les visages peints en sont des restes, mais d’autres éléments aussi qui lui sont propres comme le jeu des épées cachées.

 

Un cracheur de feu

 

Le « troisième œil » est un trait remis au goût du jour par Kang Zilin lors de sa réforme de l’opéra, mais qui remonte à une tradition plus ancienne. C’est un art spécifique, fondé sur la rapidité du geste comme le bianlian, qui consiste à donner un coup de pied très haut en laissant une marque au milieu du front, comme le troisième œil que l’on trouve aussi bien dans le bouddhisme que dans le taoïsme.

 

D’autres effets spectaculaires trouvent leurs sources dans les anciens rituels

chamaniques, les cracheurs de feu par exemple. Le risque est de le voir le chuanju devenir une attraction touristique privilégiant ces effets à sensation comme des spectacles de music-hall, au détriment du chant et de la musique. 

 

Le bianlan comme spectacle télévisé (gala du Nouvel An, CCTV 2013)

 

 


 

A voir en complément

 

Un bref documentaire de 2015 sur le chuanju :

 

 


 

A lire en complément

 

Trois articles de Catherine Capdeville-Zeng, anthropologue, professeure à l’Inalco :

2015         « The Lively “Torch Troupes” of Sichuan Opera: A Chengdu field research report », CHIME, N°20, pp. 69-84 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01356773/document

2012       « Théâtre et empire en Chine – enquêtes de terrain dans « l’espace du peuple » en Chine contemporaine », Horizons/Théâtre, Des théâtres populaires – Afrique, Amérique, Asie, Europe, mars-septembre, pp. 116 – 134  https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01445384

2005         « L’opéra du Sichuan : rite ancien, théâtre moderne », (2ème congrès, atelier 32).

 

 


 


[1] Voir le film de Johnny Ma (马楠) « Vivre et chanter » (《活着唱着》) sur les derniers jours d’une troupe de la banlieue de Chengdu.

 

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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